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ou au-dessous de ce qu’on attendait. Comme on ne peut les mesurer ni avec un objet présent ni avec un souvenir, les pyramides grandissent et diminuent selon les accidens de la vision et les caprices de la fantaisie.

Comment oser faire des phrases sur les pyramides, la seule des sept merveilles du monde que le temps ait épargnée ; les pyramides que tant de poètes ont célébrées depuis Horace jusqu’à Delille, à qui elles ont inspiré un vers plus grand que lui :

Leur masse indestructible a fatigué le temps[1] ;


que Stace a appelées d’audacieux rochers, audacia saxa, et Pline, poète dans sa prose, des masses monstrueuses, portentosœ moles, expressions gigantesques surpassées par une parole de Bonaparte : « Du haut de ces monumens, quarante siècles vous contemplent. » Seulement il eût fallu dire hardiment soixante siècles ; mais Bonaparte n’avait pas lu Manéthon. Le premier poète de la Grèce moderne, Alexandre Soutzo, a traduit par un beau vers l’éloquente inspiration du général français en disant des pyramides « Elles versent la grande ombre de quarante siècles. »

Le nom des pyramides est aussi ancien qu’elles. Volney l’a voulu tirer de l’arabe. Les Grecs, qui voyaient du grec partout, n’ont pas manqué d’y retrouver le mot pyr, feu, parce que les pyramides étaient, dit-on, consacrées au soleil, et plus tard le mot pyros, blé, quand une tradition chrétienne en eut fait les greniers de Joseph. Ce n’est ni dans l’arabe, ni dans le grec qu’il eût fallu chercher le nom des pyramides ; ces origines sont trop récentes pour leur antiquité. C’est à l’ancienne langue, de l’Égypte conservée en partie dans le copte qu’il fallait demander ce nom qui a traversé les siècles. En copte, pirama veut dire la hauteur. Peut-on douter que ce ne soit là le véritable sens du nom donné par les hommes, à ce qu’ils ont construit de plus élevé sur la face de la terre ?

En approchant des pyramides, on voit flotter et courir des burnous blancs, comme si on allait être assailli par une razzia arabe ; mais ces enfans du désert au visage terrible sont d’humbles ciceroni. C’est entre eux à qui arrivera avant les autres auprès de vous et s’emparera de votre personne par droit de premier occupant. Trois Arabes s’attachent à chaque voyageur, et, grâce à eux, on peut gravir rapidement les pyramides sans danger et sans difficulté, mais non sans fatigue. L’ascension de la grande pyramide ressemble à une ascension de montagne. On s’attaque à un des angles, et l’on grimpe d’assise en assise à l’aide des mains et des genoux, à peu près comme on franchit dans les Alpes certains passages à travers un éboulement de roches. Je n’ai jamais

  1. iL y a une pensée semblable dans Abdallatif, que certes l’abbé Delille n’avait pas lu.