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jours. A Atfèh s’opère le transbordement du petit bateau dans le bateau plus grand destiné à remonter le Nil jusqu’au Caire. Nous voilà donc sur le Nil. Désormais nous ne le quitterons plus ; il nous promènera à travers les monumens de l’Égypte, qui s’élèvent tous sur ses bords ; les anciens l’appelaient AEgyptos, et en effet il est toute l’Égypte.

Ce soir, nous remontons le cours majestueux de ce fleuve nouveau par un beau clair de lune, en prenant du thé sur le pont, et en causant avec un négociant français établi en Égypte des dernières mesures commerciales de Méhémet-Ali. Le chemin fut plus rude à l’armée française pour venir d’Alexandrie au Nil ; pendant plusieurs jours, elle se traîna à travers les sables, harcelée par les Arabes, mal pourvue de vivres, privée d’eau, et dévorée par un soleil de juillet. Faisant ainsi, dans les circonstances les plus pénibles, le cruel apprentissage du désert, elle conserva tout son courage, et, ce qui était plus héroïque, toute sa gaieté. Là, au milieu des horreurs de la soif, les soldats éprouvèrent pour la première fois cette déception cruelle qui semble une ironie de la nature, le mirage. C’est au milieu de ces épreuves qu’ils atteignirent Chebreis, où la fermeté de l’infanterie soutint sans broncher le choc de l’impétueuse cavalerie des mamelouks ; ceux-ci firent en vain des prodiges de courage et de désespoir pour briser une résistance qu’ils ne pouvaient comprendre. Nos soldats ont toujours donné le même exemple, en Égypte et en Algérie, depuis la bataille des Pyramides jusqu’à la bataille d’Isly ; mais c’est à la première rencontre surtout que fut merveilleuse cette immobilité des carrés assaillis par la meilleure cavalerie de l’Orient. Quelque hésitation eût peut-être été permise en présence d’un péril si formidable en apparence, et si nouveau, mais, dès le premier jour, nos fantassins furent inébranlables, et l’ennemi, qui croyait les anéantir, ne put les étonner.

Nous avons laissé la Grèce à Alexandrie, nous en retrouvons encore le souvenir en passant devant le lieu où fut Naucratis, la première ville grecque qu’ait vue l’Égypte ; Naucratis, célèbre partout ce qui tenait aux élégances et aux corruptions de la vie hellénique, par ses coupes, ses vases et ses courtisanes[1]. Le séjour de toutes ces brillantes fragilités n’a laisse aucun débris. Saïs, qui fut la résidence de la dernière dynastie nationale avant la conquête des Perses, a laissé plus de traces. On y voit encore une vaste enceinte en briques et quelques ruines. Du reste, ces ruines, reconnues par l’expédition française, visitées par Champollion, L’Hôte et Wilkinson, offrent, d’après ce qu’ils en disent, un médiocre intérêt. On n’y a presque point trouvé d’inscriptions hiéroglyphiques, et, sans hiéroglyphes, des débris informes ou des briques entassées

  1. Ces dernières, dit Bayle traduisant Hérodote, y prenaient un soin extrême d’être charmantes.