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dans l’Amérique du Nord, a rassemblé les traits et auxquelles il a donné la vie idéale. Les passions qui agitent ce monde lointain ne sont pas les nôtres, ne relèvent pas des mêmes mobiles, et pourraient avoir une histoire à part ; mais qu’on songe que c’est là pour l’intelligence une société ennemie et oppresse. Européenne d’abord, comme tout ce qui est civilisation en Amérique, la littérature, au moment où elle aurait pu devenir plus nationale, a été surprise par l’invasion croissante de la barbarie : son développement a été suspendu, détourné ; il lui a manqué surtout et il lui manque encore un foyer. Le livre de M. Sarmiento est un des ouvrages exceptionnels de l’Amérique nouvelle où brille quelque originalité ; c’est une étude faite sur le vif, une analyse profonde, énergique, de tous les phénomènes de la société américaine particulièrement de la société argentine. L’éclat du style ne fait pas défaut à la vigueur de la pensée.

Au surplus, la littérature aura son jour, lorsque les problèmes débattus par M. Sarmiento auront trouvé leur solution ; jusque-là, c’est moins la valeur littéraire qu’il faut chercher dans Civilisation et Barbarie que les idées et les faits dont l’exposition donne à l’ouvrage un rare intérêt. M. Sarmiento met à nu bien des vices héréditaires, bien des causes de perturbation réunies, bien des passions dissolvantes qui auraient pour effet de ramener l’Amérique à la vie sauvage. Quelque triste que soit le présent, le combat qui se livre aujourd’hui au-delà de l’Atlantique ne saurait être considéré toutefois que comme une de ces solennelles épreuves où se forme la virilité des peuples. Quoi qu’il en soit, c’est l’avènement d’un monde nouveau. La peinture que M. Sarmiento fait de l’américanisme dans sa manifestation la plus audacieuse a cela de bon qu’elle dévoile la véritable plaie de ces jeunes pays, le mal chronique contre lequel il faut lutter. L’américanisme représente l’oisiveté, l’indiscipline, la paresse, la puérilité sauvage, tous les penchans stationnaires, toutes les passions hostiles à la civilisation, l’ignorance, le dépérissement physique des races aussi bien que leur corruption morale. Ne suffit-il pas de montrer à l’œuvre cet instinct barbare qui usurpe le nom de sentiment national d’observer ses résultats naturels pour comprendre que l’avenir est ailleurs ? Cet avenir dépend de tout ce que l’américanisme repousse : du travail, qui seul peut féconder les germes de richesse si nombreux dans ces contrées vierges ; de l’industrie, du commerce, qui iront porter la vie et le bien-être là où végète une population rare et misérable ; des institutions civiles, qui, en réprimant les caprices de la force brutale, feront naître le respect du pouvoir. Ce sera la civilisation acclimatée en Amérique. Il y a un fait caractéristique et providentiel qui doit puissamment contribuer à ce résultat, c’est le mélange des intérêts et des races qui s’opère par l’immigration. Le sang se renouvelle, les habitudes de travail se propagent