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et désastreux qui couronne un long effort ; c’est une révolution véritable et la plus triste de toutes, c’est la substitution au pouvoir de l’esprit sauvage à l’esprit de la civilisation. Les détails de cet avènement seraient dénués d’intérêt malgré leur caractère terrible ; ils ont la monotonie révoltante du meurtre érigé en principe, transformé en de gouvernement ; les caprices de la force brutale fatiguent, tant ils se reproduisent fidèlement. Mais il est une circonstance digne d’être observée parce qu’il est rare qu’elle ait été éclaircie et mise en un jour suffisant : c’est que la barbarie des campagnes, qu’on voit, après 1825, appuyer le parti fédéral et opposer ce drapeau à l’unitarisme, n’est point du tout fédéraliste elle-même. Ce mot de confédération, qui subsiste encore aujourd’hui, n’exprime rien de réel, n’indique aucunement le but où tendent les chefs de la pampa. Les provinces qui pourraient encore justifier ce terme, — telles que Corrientes, — sont en réalité plutôt indépendantes que confédérées. C’est l’unité qui est aussi le rêve des nouveaux maîtres de la république. Quiroga, à son sens, est un unitaire aussi résolu que M Bivadavia A quoi est-il occupé, en effet jusqu’à sa mort ? Embarrassé de lui-même, mécontent parce qu’il voit la première place lui échapper, mas fidèle à son origine ; il promène d’un pays à l’autre sa fureur jalouse, allant se faire battre par le général Paz à la Tablada, à Oncativo, puis se relevant à Chacon ; épouvantant Mendoza, Tucurman par sa férocité, par ses goûts de destruction, par ses instincts de rapacité ; il passe en quelque sorte le niveau sur toutes les villes de la région des Andes, et ne laisse debout d’autre pouvoir que sa fantaisie violente et cynique à Salt à Catamarca, dans la Rioja, à San-Juan, à San-Luis. Quiroga crée l’unité comme il la comprend, par la terreur et la dévastation ; il est le seul dominateur de ces contrées. Rosas, sur une échelle plus vaste, ne réalise-t-il pas la même pensée ? A peine arrivé, à être gouverneur de Buenos-Ayres, l’heureux gaucho s’efforce de concentrer en lui le pouvoir morcelé ; son premier soin est d’avoir l’œil fixé sur ses rivaux de la pampa, de les ramener sous son joug tant qu’il peut, et de les détruire brusquement lorsqu’il commence de redouter, leur voisinage. La mort de Quiroga est l’épisode le plus dramatique de cette usurpation progressive de Rosas. Facundo se trouvait a Buenos-Ayres lorsque parvint la nouvelle d’une dissidence violente survenue entre Salta et Tucuman. Nul plus que lui n’était propre à étouffer ces germes de guerre civile ; mais, comme depuis quelque temps il n’offrait plus qu’un douteux appui, comme il avait laissé éclater des répugnances qui révélaient une ambition secrète, il ne partit pas sans hésitation, sans de sombres pressentimens, — pressentimens qui s’accrurent encore lorsqu’il sut que des instructions l’avaient précédé à Cordova, où il devait passer. Le bruit d’un crime prémédité contre lui était déjà public et sur sa route les avertissemens se succédaient. Quiroga se reposait