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CHOEUR DES VOIX.

Inutile, c’en est assez ! Pour lui, il n’y a plus de salut ni sur la terre ni dans le ciel.

UNE VOIX.

Encore quelques jours de gloire terrestre, de cette pâle fumée qu’ont respirée tes ancêtres, et toi et les tiens vous périrez ! Vous périrez sans sépulture, sans les cloches qui devraient sonner votre agonie, sans les pleurs de vos parens et de vos amis. Votre mort sera, comme la nôtre, triste et terrible, sur ce même rocher de douleur où nous avons été enchaînés.

LE COMTE.

Ah ! je vous vois, je vous reconnais enfin, esprits maudits ! (Il s’avance de quelques pas.)

GEORGE.

Mon père, ne t’avance pas plus loin ! Au nom du Christ, je t’en conjure, mon père !

LE COMTE, retournant.

Parle, parle, que vois-tu encore ?

GEORGE.

Une figure.

LE COMTE.

Quelle est-elle ?

GEORGE.

C’est un autre toi-même, affreusement pâle, enchaîné. A présent ils le torturent. J’entends ses gémissemens. (Tombant à genoux.) Pardonnez moi, mon père ; mais ma mère est venue cette nuit, et m’a ordonné… (Il s’évanouit.)

LE COMTE, le prenant dans ses bras.

Il ne manquait que cela… mon propre enfant m’amène au seuil de l’enfer… O Marie, esprit implacable ! Dieu et toi, autre Marie, je vous ai cependant tant priés de fois ! Là commence une éternité de souffrances et de ténèbres. Remontons à la lumière, il me faut encore combattre les hommes, et après commencera un autre combat, celui de l’éternelle souffrance. (Il se salive avec son fils.)

CHOEUR DES VOIX dans le lointain.

Pour n’avoir rien aimé, rien adoré que toi, que toi-même et tes pensées, tu es damné, damné pour l’éternité !

Un salon dans le château de la Sainte-Trinité. — Le Comte, femmes, enfans, vieillards, comtes agenouillés à ses pieds. — Le parrain debout au milieu de la salle. — La foule au fond. Armes suspendues aux parvis. — Piliers gothiques, ornemens, fenêtres.
LE COMTE.

Non. Par mon fils, par ma femme morte, non ! encore une fois, non !

LES VOIX DE FEMMES.

Pitié, pitié ! la faim dévore nos entrailles et celles de nos enfans ; la peur nous fait mourir. Pitié ! pitié !

VOIX D’HOMMES.

Il en est temps encore. Écoute cet homme qui nous est envoyé ; ne le chasse pas.