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qu’ils enlèvent l’argent du pays ; l’ouvrier voudrait qu’on ne leur permît pas l’industrie, de peur d’avoir à lutter avec des rivaux redoutables. Le prêtre se renferme dans une intolérance anti-chrétienne, pour ne point assister au spectacle d’une différence de cultes qui le condamnent à s’instruire, afin d’éclairer ses fidèles. » Dans les campagnes, c’est une haine entière, instinctive, féroce. L’idée d’un congrès général, discutée avec une si vive chaleur, il y a quelques années, au-delà de l’Atlantique, et fortement appuyée par le général Rosas, procède de la même origine que le triste projet débattu à Nicaragua, et n’avait pas d’autre but que de fournir à l’américanisme un plus vaste théâtre, de le constituer en puissance publique. Il est cependant des états qui résistent encore à cet entraînement ; le Chili a refusé de s’associer au nouveau droit des gens, qui tendait à fermer à l’Europe l’entrée des fleuves américains, et la paix règne depuis quinze ans au Chili. Son calme développement sous la sage administration du général Ruines est le résultat d’une politique plus douce. Venezuela se distingue par sa tolérance, par la facilité de ses lois, par des habitudes de gouvernement moins exclusives Parmi les autres états, la République Argentine est, sans, aucun doute, celui où s’agite avec le plus d’énergie ce problème décisif d’où dépendent les destinées américaines, où se produisent avec le plus de variété et de spontanéité dramatique tous les phénomènes particuliers à un tel mouvement.

Ce fait simple et profond, mis à nu, ne ramène-t-il pas directement à la source des démêlés que l’Europe a trop souvent à vider avec l’Amérique du Sud ? Il relève la portée de ces différends qui, au point de vue d’une politique peu généreuse, semblent d’abord factices, paraissent le fruit d’une alliance imprudente avec les passions aventureuses de nos nationaux que conduit vers ces parages l’espoir d’une prompte fortune ou le mystérieux attrait de l’inconnu. On n’exprime qu’une vérité superficielle, lorsqu’on accuse les exigences des émigrans européens, et notamment la témérité naturelle au caractère français, sa facilité à prendre couleur dans les discordes intérieures des autres pays, comme cela se voit aujourd’hui sur les bords de la Plata. Il faudrait se demander avant tout si ce n’est pas la force des choses qui provoque et développe ce penchant, qui pousse fatalement les étrangers à se ranger dans un parti. Les émigrations, — même les émigrations françaises, — vivent paisibles et neutres là où elles trouvent des garanties protectrices dans les lois, dans la stabilité des gouvernemens, dans une politique équitable et tolérante ; mais là où cette sécurité leur manque, là où elles rencontrent à chaque pas la menace, l’hostilité, où la défiance à leur égard est près d’être érigée en principe de droit public, elles s’agitent pour se défendre. Doit-on s’étonner qu’elles ne restent pas froides entre les partis ? Ce n’est pas une préférence inopportune pour une forme