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bas qu’aux plus mauvais jours de la guerre d’Amérique ; l’opinion générale se prononçait contre la continuation des hostilités, le parlement se montrait disposé à refuser les subsides que réclamait le ministère, et le génie de Pitt ne soutenait qu’à peine le cabinet ébranlé à travers tant de difficultés et de périls. La victoire remportée sur la flotte espagnole ranima l’esprit national et vint donner à l’administration la force nécessaire pour faire face à cette crise menaçante ; mais l’Angleterre allait se trouver en présence d’épreuves plus dangereuses encore qui préparaient à Jervis un nouveau triomphe.

En effet, vers la fin du mois de février 1797, au moment même où venait avorter dans les eaux du cap Saint-Vincent ce projet de coalition maritime qui devait réunir dans le port de Brest la flotte de Carthagène à celle du Texel, au moment où l’Angleterre voyait son littoral sans défense couvert encore une fois par ces remparts mobiles qui l’avaient défendue depuis les temps glorieux d’Elisabeth, une sourde agitation faisait éclater dans l’escadre de la Manche les premiers symptômes d’une insurrection cent fois plus redoutable que ne l’eût été la présence d’une flotte ennemie à l’embouchure de la Tamise. Lord Howe, qui commandait alors à Portmouth les forces anglaises réunies dans la Manche, reçut plusieurs lettres anonymes contenant les réclamations les plus vives en faveur des équipages de la flotte ; mais, au lieu d’accorder à ces pétitions l’attention qu’elles méritaient, cet amiral se contenta de l’assurance qui lui fut transmise par plusieurs capitaines du bon, esprit, qui régnait à bord de leurs vaisseaux, et il pensa qu’un silence absolu ferait justice de ces prétentions. Le 30 cependant, l’escadre qui croisait devant Brest sous le commandement de lord Bridport vint mouiller à Spithead, et le 15 avril, au moment où cette escadre recevait l’ordre d’appareiller pour aller reprendre sa croisière, l’équipage du Royal-George, sur lequel flottait le pavillon du commandant en chef, au lieu de se porter dans les batteries pour lever l’ancre, monta dans les haubans du vaisseau, et poussa trois acclamations auxquelles répondirent immédiatement, comme un écho terrible, les houras séditieux des autres matelots de l’escadre. Le secret de ce complot avait été si bien gardé et l’aveuglement des chefs était tellement complet, que rien n’avait transpiré jusque-là des projets les mécontens. En vain essaya-t-on de faire rentrer ces hommes égarés dans le devoir. Les prières et les exhortations restèrent inutiles. Ceux des officiers qui s’étaient rendus coupables de quelques actes d’oppression furent envoyés à terre ; les autres purent rester à bord sans avoir à subir aucun mauvais traitement. Le lendemain, les équipages prêtèrent serment de rester fidèles à la cause commune et de ne point lever l’ancre qu’on n’eût fait droit à leurs demandes. Des cordes furent en même temps