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IV.

L’Angleterre, à cette époque, venait de porter ses armemens à 108 vaisseaux de ligne et 400 bâtimens montés par 120 mille marins ; mais, obligée de protéger tant de colonies et d’intérêts dispersés sur la face du globe, l’amirauté n’avait pu envoyer à la flotte du Tage que cinq vaisseaux de ligne, momentanément détachés de la flotte de la Manche C’est ainsi, que pendant cette guerre l’Angleterre sembla toujours, malgré l’immense développement qu’avait pris sa marine, éprouver au milieu de ses richesses, tous les embarras de la misère. Après l’arrivée de ce renfort, qui le rejoignit le 6 février, l’amiral Jervis se trouva encore une fois à la tête de 15 vaisseaux de ligne, dont 6 à trois ponts, 4 frégates et 2 corvettes. Sa mauvaise fortune n’était cependant pas complètement épuisée. Le 12 février, deux de ses vaisseaux, virant de bord par une nuit sombre et pluvieuse, s’abordèrent, et l’un d’eux, le Culloden, éprouva dans ce choc terrible des avaries tellement sérieuses, qu’il eût fallu le renvoyer au port, s’il n’eût été commandé par un des capitaines les plus actifs de la marine anglaise mais, au grand étonnement de tous ceux qui avaient vu l’état de son vaisseau au point du jour, le capitaine Troubridge, grace à de prodigieux effort put signaler dans l’après-midi qu’il était prêt à combattre. L’éloignement de ce vaisseau eût été très mal venu en ce moment, car le lendemain la frégate la Minerve, portant le guidon de commandement de Nelson, ralliait l’escadre anglaise avec la nouvelle que, deux jours auparavant, la flotte espagnole avait été aperçue en dehors du détroit.

Cette flotte, alors commandée par don Josef de Cordova, avait quitté Carthagène le 1er février. Elle se composait de 26 vaisseaux, dont 7 à trois ponts, et de 11 frégates. Le 5 février, au point du jour, elle franchit le détroit de Gibraltar et se dirigea vers Cadix ; mais un coup de vent d’est l’empêcha de gagner ce port, et le 13 février dans la soirée, pendant qu’elle luttait, pour s’en rapprocher, contre des vents encore contraires, les éclaireurs des deux armées, signalèrent l’ennemi, dont ils n’avaient pu cependant apprécier exactement la force. Les Espagnols, qui n’avaient point eu connaissance du dernier renfort reçu par l’amiral Jervis, rassurés par leur immense supériorité numérique, négligèrent de serrer leurs distances pendant la nuit et continuèrent à naviguer sans ordre. Peu désireux d’en venir aux mains avec l’escadre anglaise, ils pensaient que celle-ci n’oserait jamais prendre l’offensive ; mais Jervis, au contraire, songeait à combattre. Il savait combien une victoire était en ce moment nécessaire à l’Angleterre, et il attendait cette victoire des soins judicieux qu’il donnait depuis deux ans à l’instruction de son escadre.