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et eut le bonheur de franchir le détroit en plein jour par un violent coup de vent d’est qui empêcha les vaisseaux anglais de lever l’ancre et de se lancer à sa poursuite. Ce coup de vent, qui lui fut si favorable fut en même temps fatal à la flotte de l’amiral Jervis. Trois vaisseaux anglais chassèrent sur leur ancres et déradèrent. L’un d’eux alla se perdre avec la plus grande partie de son équipage sur la côte d’Afrique ; un autre, à moitié démâté, alla mouiller dans la baie de Tanger après avoir franchi l’extrémité d’un récif. Enfin, le 16 décembre, sir John Jervis fit voile pour Lisbonne, où il devait attendre des renforts, mais de nouvelles épreuves lui étaient réservées : un de ses vaisseaux toucha sur une roche devant Tanger, à la hauteur du cap Malabata ; un second vaisseau, le Bombay-castle, se perdit, au moment même où il entrait dans le Tage, sur un des bancs qui obstruent l’entrée de cette rivière.

Ainsi, en moins de deux mois, sans avoir eu à combattre d’autre ennemi que ce rude hiver de 1796, qui dispersait, en ce moment même, l’expédition que nous dirigions sur l’Irlande[1], la flotte anglaise se trouvait réduite de 15 vaisseaux a 11. Jervis ne laissa paraître aucune faiblesse dans ces circonstances critiques ; mais il se promit de redoubler de vigilance et de réparer ces malheurs à force d’activité. Il songea d’abord à assurer l’évacuation de Porto-Ferrajo, que les troupes anglaises avaient occupé le 18 juillet 1796, et ce fut Nelson qu’il chargea du soin périlleux d’aller enlever la garnison laissée dans cette place. Lui seul était capable de remplir cette mission et de pénétrer sans crainte au fond de la Méditerranée malgré les escadres qui se croisaient en tous sens dans ce vaste bassin, abandonne par l’Angleterre aux pavillons unis de France et de Castille. Nelson quitta pour un instant son vaisseau et partit de Gibraltar avec les deux frégates la Blanche et la Minerve. Peu de jours après son départ, il rencontra deux frégates espagnoles et leur donna la chasse. La Minerve, qu’il montait, atteignit la Sabine, commandée par un descendant expatrié des Stuarts. La frégate ennemie fut bientôt écrasée sous ce feu redoutable, comparé par les Espagnols au feu de l’enfer, et que la Minerve avait appris à vomir contre l’ennemi à l’école

  1. L’armée que nous destinions à envahir l’Irlande, partie de Brest au mois de décembre 1796, eût certainement débarqué dans cette île, si la flotte chargée de l’y conduire eût été mieux armée et mieux exercée ; mais cette flotte, commandée par le vice-amiral Morard de Galles, se trouva séparée à la sortie même de la rade de Brest. 15 vaisseaux et 10 frégates parvinrent cependant à se rallier sous les ordres du contre-amiral Bouvet, et arrièrent, sans avoir rencontré l’ennemi, à l’entrée de la baie de Bantry. Des bâtimens habitués à plus d’activité eussent pu, dès les premiers jours, atteindre un mouillage favorable et mettre leurs troupes à terre. Le succès de l’expédition était encore assuré. Nos vaisseaux furent malheureusement dispersés de nouveau par un coup de vent qu’ils eurent l’imprudence d’attendre dans une baie ouverte ; ceux d’entre eux qui échappèrent au naufrage furent contraints par leurs avaries et le manque de vivres de rentrer à Brest. Des 44 navires qui composaient cette puissante flotte, 2 coulèrent à la mer, 4 se jetèrent à la côte, et 7 seulement furent capturés par les croisières ennemies.