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l’escadre anglaise et rentrer à Naples pour y débarquer les débris de son équipage. L’amiral Jervis indiqua, avec l’autorité que lui donnaient quarante-huit années de service, les précautions qui devaient prévenir l’invasion de ces fièvres contagieuses. Par ses ordres, on réserva à bord de chaque vaisseau, sur l’avant de la batterie haute, un vaste hôpital isolé du reste de la batterie par une cloison mobile et recevant l’air extérieur par deux larges sabords. Il recommanda en outre de faire aérer et secouer au moins une fois par semaine les hamacs des matelots, leurs matelas et leurs couvertures, proscrivit les lavages à grande eau dans les batteries basses et les entreponts, et pour mieux assurer l’exécution de ses ordres, exigea que le détail de ces soins périodiques, ainsi que celui de la propreté journalière, fût minutieusement inscrit sur les journaux de bord soumis au visa du capitaine[1].

Ce n’était point assez pour l’amiral Jervis d’avoir éloigné de ses navires le principe de ces épidémies funestes ; sa sollicitude ne craignit point d’empiéter par des prescriptions plus spéciales encore sur ce domaine exclusif où les hommes de l’art n’avaient point jusque-là rencontré le regard d’un commandant en chef. « Je voudrais de tout mon cœur, disait-il ; que nous n’eussions, point tant de docteurs en médecine parmi nos chirurgiens A peine ces messieurs ont-ils obtenu leur diplôme, qu’ils regardent comme au-dessous de leur dignité les soins les plus utiles, les devoirs les plus habituels de leur profession. Ils passent leur journée à souffler dans une flûte ou à jouer au tric-trac au lieu de soigner leurs malades ; quant à leurs journaux, ils en rédigent de magnifiques à l’aide de Cullen ou d’autres auteurs d’ouvrages de médecine, et se font ainsi, sans y avoir le moindre titre, une réputation auprès du conseil de santé. » - « Pour moi, j’entends, écrivait-il à ses capitaines, que les chirurgiens de cette escadre ne se promènent jamais sur le pont, ne descendent jamais à terre soit en corvée, soit pour leur plaisir, sans avoir dans leur poche une boîte contenant leurs instrumens de chirurgie. » - « Je suis certain, ajoutait-il, que beaucoup d’affections graves pourraient être prévenues, si l’on obligeait les malades à porter de la flanelle sur la peau. Le purser (agent comptable) doit avoir à cet effet un certain nombre de chemises ou de gilet de flanelle, et, dès qu’un matelot se plaint d’un catarrhe, d’une toux violente

  1. On peut juger par le tableau suivant, emprunté au bel ouvrage de M. Charles Dupin sur la Force navale de La Grande-Bretagne, des heureux résultats obtenus par ces soins hygiéniques.
    Pendant la guerre d’Amérique, de 1779 à 1782, il y eut en moyenne, chaque année, 30 malades sur 100 hommes embarqués ;
    En 1793, 1794, 1795, 1796, 24 malades sur 100 hommes embarqués ;
    En 1797, 1798, 1799, 1800, 14 malades sur 100 hommes embarqués ;
    En 1801, 1804, 1805, 1806, 8 malades sur 100 hommes embarqués.
    Quel fécond sujet de réflexions offre cette admirable progression décroissante !