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tromper personne. Ce qu’il faisait, d’autres pouvaient le faire ; mais il a eu le mérite de placer dans ses compositions les figures du peintre allemand avec tant de bonheur et d’à-propos, qu’elles semblent nées à Florence aussi bien que les figures voisines. Si André a mis à contribution les gravures d’Albert Dürer, il ne s’est pas cru dispensé d’inventer, malgré la richesse du modèle qu’il avait sous les yeux. Il n’a pas, comme plus d’un peintre de nos jours, transcrit des compositions entières. Il s’est servi d’Albert Dürer comme Michel-Ange se servait de Signorelli, comme Raphaël se servait du Pérugin dans les premières années de sa carrière. Ce serait donc un enfantillage que de vouloir discuter sérieusement le reproche de plagiat. Malgré les réminiscences que l’érudition peut signaler dans le portique du Scalzo, la vie de saint Jean-Baptiste occupe, dans l’histoire de la peinture, un rang glorieux et mérité. Lors même qu’elle n’offrirait d’autre intérêt que le charme et l’élégance des compositions, il faudrait l’étudier avec soin ; mais elle présente un autre genre d’intérêt : elle nous montre les tâtonnemens d’un esprit laborieux, elle nous révèle les transformations successives du style d’André, elle nous donne presque le journal de ses études, et, sous ce rapport, elle mérite « une attention spéciale.

Vasari et Lanzi ont beaucoup trop loué la Cène de San-Salvi. De la part de Vasari, cette méprise n’a pas lieu de nous surprendre, car il lui arrive rarement de montrer une grande délicatesse, un discernement sévère dans les jugemens qu’il prononce. Lanzi, habituellement plus réservé, moins prodigue d’éloges, a transcrit l’opinion de Vasari sans se donner la peine de la vérifier. La fresque de San-Salvi, admirablement conservée, si fraîche, si éclatante qu’elle semble achevée d’hier, ne mérite pas les cris de surprise de Vasari et de Lanzi. Si cette composition n’était pas signée du nom d’André, elle suffirait sans doute pour assurer à l’auteur une place honorable dans l’histoire de l’art ; mais, rapprochée des grisailles du Scalzo et du portique de la Nunziata, elle perd naturellement une grande partie de sa valeur. Il faut dire toute la vérité : parmi ceux qui parlent de la Cène de San-Salvi, il y en a plus d’un qui ne l’a pas vue, et, parmi ceux qui l’ont vue, plus d’un qui n’a pas pris le temps de l’étudier. Le monastère de San-Salvi n’est guère qu’à une heure de Florence ; mais il faut se déranger exprès pour y aller, on ne peut profiter de cette occasion pour voir en même temps quelques douzaines de galeries. La renommée de cette composition une fois établie par Vasari, et rajeunie par Lanzi, devait donc acquérir une valeur traditionnelle, et, c’est en effet ce qui est arrivé. D’ailleurs l’éclat des couleurs, qu’André n’a surpassé, dans aucun de ses ouvrages, séduit trop facilement le plus grand nombre des juges. Le plaisir que nous éprouvons en voyant une fresque, achevée depuis trois siècles, si parfaitement conservée, nous abuse d’abord sur le mérite de l’œuvre.