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femme indigne de lui. Cette passion fut d’abord contrariée, car Lucrezia del Fede était mariée, mais elle perdit son mari, et André, malgré les remontrances de ses amis, eut la faiblesse de l’épouser. Ce mariage devait faire du reste de sa vie une longue torture : humiliation, jalousie, déshonneur, tel fut le partage d’André. Sa renommée avait franchi les bornes de l’Italie Un tableau de sa main, acheté par un marchand florentin, avait été porté en France et acquis par François Ier. Le roi voulut l’avoir à sa cour, et lui fit faire des offres magnifiques. André se rendit à cette invitation, et vint à la cour de France. En peu de temps, son talent lui donna autant d’amis que d’admirateurs. Richesse, honneurs, prévenances, flatteries de toute sorte, rien ne lui manquait. Après avoir lutté tant d’années contre la pauvreté, il se voyait comblé de tous les biens de la fortune ; à peine pouvait-il suffire à toutes les demandes qui lui arrivaient. Mais il avait laissé Lucrèce à Florence ; un jour, il reçut d’elle une lettre pleine de regrets et de prières, et cette lettre suffit pour le perdre sans retour. Il demanda au roi la permission d’aller passer quelques mois à Florence ; le roi y consentit, paya les frais de son voyage, lui donna en outre une somme considérable qu’André devait employer en acquisitions de tableaux et de statues. André partit et jura sur l’Evangile de revenir à la cour de France pour s’y fixer. Il devait amener Lucrèce, afin que rien ne le rappelât en Italie ; mais à peine fut-il arrivé à Florence, que Lucrèce lui fit oublier son serment. Il dépensa pour elle en bijoux, en parures, en fêtes, la somme que le roi lui avait confiée. Pour plaire à cette femme qu’il aimait follement, il se déshonora, ete se ferma la cour du roi de France. Plus tard, pour regagner les faveurs de François Ier, il épuisa vainement les prières et les promesses. Il s’était parjuré, et ne méritait plus aucune confiance. Il comprit toute l’étendue de sa faute, toute la honte qu’il avait méritée, et dut renoncer à toute espérance de retour. Abreuvé d’humiliations et de dégoûts par cette femme qu’il avait aimée jusqu’à se déshonorer pour elle, il demanda vainement une consolation au travail. Sa renommée grandit sans épuiser ses remords. Ses élèves abandonnaient son atelier ; le caractère impérieux de Lucrèce, ses colères, son insolence, éloignaient de lui les plus dévoués. Lorsqu’il mourut, elle n’était pas à son chevet, il ne se trouva personne pour lui fermer les yeux.

Quoique André del Sarto ait composé un grand nombre de tableaux disséminés dans les principales galeries d’Europe, quoique nous possédions à Paris plusieurs ouvrages du premier ordre signés de son nom, cependant je ne crois pas devoir parler de ces tableaux. Malgré l’estime sérieuse qu’ils méritent généralement, malgré les précieuses qualités qui les recommandent à l’attention et à l’étude, il ne me semble pas nécessaire de les analyser pour donner une idée précise et complète