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à Pier di Cosimo. Or, ce nouveau maître n’était pas lui-même un homme d’une grande valeur ; son nom n’occupe pas un rang élevé dans l’histoire de la peinture. Toutefois, il connaissait assez bien la pratiqué matérielle de son art, et, s’il ne pouvait pas enseigner à son élève les parties les plus difficiles de la composition, celles qui dépendent plus directement de la nature primitive et du développement général de l’intelligence, il pouvait du moins le familiariser, avec tous les secrets de la langue pittoresque ; c’était plus qu’il n’en fallait pour mettre en évidence toutes les ressources d’une nature aussi riche que celle du jeune André. Si les leçons de Gian Barile et de Pier di Cosimo n’ont pas formé le peintre immortel de la Nunziata, nous devons toutefois de la reconnaissance à ces deux maîtres puisqu’ils ont eu assez de sagacité pour ne pas contrarier le naturel excellent qui leur était confié. C’est un mérite assez rare pour que nous prenions la peine de le signaler. Grace au caractère tolérant de leur enseignement, André put suivre librement le penchant qui l’entraînait à l’imitation naïve de la réalité ; il put tout en profitant de leurs conseils, les surpasser et s’engager dans une voie purement personnelle. S’il eût été dirigé par un maître d’une intelligence supérieure, peut-être eût-il attaché plus d’importance à l’invention ; mais il est douteux que I’exécution de ses ouvrages eût gagné en élégance et en précision. D’ailleurs, malgré sa prédilection bien marquée pour l’étude attentive de la réalité, il comprit de bonne heure la nécessité de consulter les maîtres illustres sur la manière de l’interpréter. Plein de défiance et de timidité, il ne crut pas pouvoir lutter seul avec la nature. Il se mit donc à étudier les fresques de Masaccio à Sainte-Marie del Carmine, et les fresques de Ghirlandajo à l’église de la Trinité. Les ouvrages de Domenico Ghirlandajo, qui a été le maître de Michel-Ange, ne me paraissent pas avoir exercé une influence décisive sur la manière d’André del Sarto. Ils ne possèdent, en effet, ni la grace ni le charme qui distinguent les compositions d’André ; mais ils se recommandent par la simplicité, par le naturel, et ces deux qualités précieuses devaient attirer l’élève de Pier di Cosimo. Quant à Masaccio, je n’hésite pas à croire qu’il a été pour André del Sarto le premier maître vraiment digne de ce nom. Pour estimer la valeur de cette affirmation, il suffit d’avoir visité Florence. En comparant les fresques du Carmine aux fresques de la Nunziata, il est impossible de ne pas saisir la parenté qui unit André del Sarto à Masaccio. Non que les fresques de la Nuriziata portent l’empreinte d’une imitation servile ; je suis très loin de vouloir le donner à entendre. Ce qui me frappe dans l’un comme dans l’autre, c’est le caractère individuel des physionomies, et c’est précisément cette individualité qui établit à mes yeux la parenté dont je parlais tout à l’heure. Réduit aux seuls enseignemens de Ghirlandajo, il est probable qu’André del Sarto ne serait pas devenu ce qu’il a été plus tard ; il aurait