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rôle dans la mêlée, et apporter à cette œuvre d’affranchissement le tribut de son activité inquiète. La vie de salon attendait encore son peintre : l’auteur d’Ilda Schoenholm s’est présenté. Ici encore nous trouvons un exemple de cet oubli des convenances de l’esprit national que nous reprochons aux modernes romanciers d’outre-Rhin. Le genre nouveau qu’a essayé d’introduire dans son pays Mme Hahn-Hahn, le roman de high life, présente de graves difficultés à une plume allemande. En Allemagne comme partout, les salons sont cosmopolites. Ce qui s’est conservé d’originalité locale dans les cercles brillans de Berlin ou de Dresde va s’effaçant de plus en plus. Pourtant ce n’est guère qu’en saisissant, en fixant ces empreintes fugitives que le chroniqueur du monde aristocratique donnera quelque prix à ses créations. Admettons qu’il réussisse, les obstacles mêmes de la voie où il est entré limiteront le nombre de ses succès. Il y a de ces victoires littéraires qu’on ne gagne pas deux fois, et Mme Hahn-Hahn en est à son neuvième roman. S’est-elle doutée des obstacles qu’elle avait à vaincre, et à force de multiplier les essais n’a-t-elle pas manqué le but ?

Clelia Conti, le dernier roman de Mme la comtesse Hahn-Hahn, porte, comme Ilda Schoenholm et comme la Comtesse Faustine, l’empreinte d’une imagination ardente et heureusement douée, mais qui ne sait ni concentrer ni ménager ses forces. On retrouve dans ce roman les deux tendances dont la trace est marquée plus ou moins nettement dans tous les écrits de Mme Hahn-Hahn. L’analyse des passions, la peinture des mœurs, ont un égal attrait pour l’auteur de Clelia Conti. Nous avons dit quel écueil attendait le peintre de mœurs cherchant dans la vie de salon le reflet affaibli du caractère national. Le romancier a-t-il mieux réussi en interrogeant et en interprétant le cœur humain ? Avant de raconter l’action développée par Mme Hahn-Hahn, il convient de faire connaître les personnages auxquels elle a distribué les principaux rôles. Ces personnages sont au nombre de trois, la comtesse Clelia Conti, le comte Gundaccar Osnat, le baron Achatz Thannau.

Clelia semble personnifier le dévouement dans l’amour. Le développement de ce caractère pouvait exciter un légitime intérêt, mais à deux conditions : c’était d’abord que l’unité du personnage fût respectée, ensuite que le type idéal conservât des proportions humaines. De ces deux conditions ni l’une ni l’autre n’a été remplie par le romancier. Mme Hahn-Hahn a réuni sur la tête de Clelia toutes les séductions, tous les dons les plus rares, sans se demander si la physionomie qu’elle avait rêvée gardait encore, sous tant d’aspects divers, un caractère distinct, un sens net et précis. Clelia réalise dans sa beauté les plus divins rêves que la sculpture antique ait modelés dans le marbre et que la peinture moderne ait jetés sur la toile ; elle unit à cette beauté surhumaine une ame héroïque, une intelligence supérieure, et l’imagination d’un grand artiste. Distraite par des prestiges si divers, l’admiration ne sait où se fixer. L’unité du personnage a disparu. Quant à l’intérêt, il n’y a pas gagné. En élevant Clelia au-dessus de l’humanité, Mme Hahn-Hahn a placé son héroïne dans une région interdite à nos sympathies. Aucune femme ne reconnaîtra sa sœur dans cette créature céleste, qui porte en elle le triple prestige du sentiment, du génie et de la beauté. Si l’auteur s’était placé franchement sur le terrain de la fantaisie, nous comprendrions, nous excuserions son audace ; mais son livre nous est donné pour une peinture de la vie réelle. « Ceci est l’histoire d’un cœur qui aime, » dit Mme Hahn-Hahn