l’arbre de sa racine ; l’esprit allemand est l’ame de l’Autriche, parce que l’Autriche est la base historique de l’empire allemand. Son rôle propre est justement de fournir la médiation nécessaire entre cet empire et les races slaves qui gravitent vers lui, une médiation impartiale et protectrice, qui attire sans violenter. La Pologne échappe seule à cette loi, grace aux vingt millions d’hommes concentrés sur son territoire ; tâcher toujours de l’y réduire par la force brutale, c’est effaroucher et révolter tous ces autres Slaves qu’on aurait gagnés par la douceur.
Ainsi embarrassés de leur triste conquête, quel rôle jouent maintenant vis-à-vis de la Russie les cabinets de Vienne et de Berlin ? La Russie n’est à proprement parler que l’Asie luttant contre l’Europe pour la recoucher dans son berceau, lutte éternelle qui se produit sous toutes les formes et par tous les fléaux, la conquête, la maladie, la superstition. Le XVIIIe siècle, abusé par ses illusions humanitaires et philanthropiques, a salué dans Pierre-le-Grand un héros civilisateur ; il s’est trompé : ce n’était qu’un Tamerlan frisé et habillé à la française. Pierre est vraiment celui qui a rappelé la barbarie asiatique de l’Orient pour lui tourner le front vers l’Europe ; l’Europe ne lui connaissait qu’un accoutrement sauvage ; il lui a donné l’uniforme européen. Qu’est-ce en effet que le système patriarcal que la Russie s’attribue la mission de restaurer ? Qu’on lise seulement ce livre écrit par un homme qui était du sang de l’impératrice Catherine II, par l’Allemand Klinger : Sur l’éveil prématuré du génie de l’humanité. La Russie se propose comme un modèle de stabilité au milieu des révolutions, comme le soutien naturel des trônes légitimes et des rois absolus : on sait cependant l’histoire de la maison de Gottorp ; combien compte-t-elle de princes assassinés ? Au fond, la politique russe n’a qu’un but : mettre en garde l’Autriche contre la Prusse, la Prusse contre l’Autriche, les petits états contre les grands, les grands contre les tendances libérales des petits ; et, s’il fallait enfin une dernière preuve des mauvais procédés de la Russie à l’égard de l’Allemagne, l’auteur l’a toute prête : c’est la Russie qui a voulu laisser la Lorraine et l’Alsace à la France.
Aussi, que disait Frédéric-le-Grand : « Nous avons affaire à des barbares qui travaillent à enterrer l’humanité ; songeons à nous préserver au lieu de nous plaindre. » Et Marie-Thérèse écrivait à l’impératrice Élisabeth : « Ma très chère sœur et très précieuse amie, mais jamais ma voisine par mon consentement. » Pourquoi donc les successeurs de Marie-Thérèse et de Frédéric ont-ils changé de conseils et subordonné la direction de leurs affaires aux intérêts russes ? C’est que M. de Metternich affectionne une politique boiteuse qui s’arrête toujours à moitié chemin ; c’est qu’il prend volontiers l’intrigue pour la politique, selon ce mot cruel de Napoléon. Voilà comme il a partout fait le succès de l’énergie moscovite en annulant l’Autriche. La Prusse, de son côté, se jette dans les bras de la Russie par peur de la France et de l’Angleterre, par jalousie de l’Autriche ; elle oublie qu’une seule chose lui a valu sa grandeur, l’orgueil de vouloir être grande ; elle ne voit pas que l’avenir de l’Allemagne est bien assez large pour que les deux hautes puissances aient encore assez de gloire à s’en partager la conduite.
Tel est à peu près ce livre original et sincère dont nous avons tâché de rendre la physionomie par une exacte analyse. Nous croyons que cette reproduction impartiale vaut toujours mieux qu’un pur jugement critique pour donner l’idée succincte d’une publication étrangère. Il peut servir à l’instruction d’un lecteur