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à se déployer sur mer ; même les nations que la nature n’a point faites maritimes veulent le devenir.

Depuis long-temps on n’avait vu les événemens se succéder en Europe comme aujourd’hui. L’autre jour, c’était l’Allemagne qui semblait prête à courir aux armes pour faire, disait-elle bravement, avec les duchés danois ce que les Américains faisaient avec l’Orégon, pour s’enrichir d’un territoire à sa convenance : encore était-elle fort irritée contre ceux qui n’estimaient point la raison suffisante ; le débat n’est pas fini, mais le bruit est tombé : c’est souvent la même chose. Hier éclatait à Genève une commotion qui malheureusement en prépare d’autres plus graves. Aujourd’hui enfin c’est le tour du Portugal, et tel est maintenant le contact étroit qui rapproche toutes les puissances, que cette explosion qui se produit à l’extrémité du continent pourrait bien avoir sur les relations européennes des effets plus directs et plus immédiats que les événemens même de la Suisse.

Il existe désormais une solidarité générale entre les petits états et les grands, et les premiers tiennent assez de place dans l’histoire des autres pour qu’on doive s’en enquérir davantage. Il est fâcheux que nous ne sachions jamais nous transporter hors de chez nous pour juger nos voisins, et que nous voulions toujours retrouver chez eux nos arrangemens et nos idées. C’est le moyen de tomber dans de perpétuelles confusions, et en Portugal plus qu’ailleurs. On se trompe si l’on suppose là quelque chose qui ressemble aux réalités les plus vulgaires de l’ordre constitutionnel, à la sincérité même extérieure des formes parlementaires, au développement logique des opinions et des caractères ; on se trompe plus encore si on imagine des partis bien distincts et conséquens à leurs principes, un personnel tout prêt pour en remplir les cadres, un état-major d’hommes politiques dévoués à leur drapeau. La monarchie portugaise, malgré les embarras et la pauvreté de la couronne, est restée au fond une monarchie de palais, provoquant ou combattant des conspirations armées avec des intrigues de cour, ignorant l’art difficile de traiter régulièrement avec des pouvoirs publics. La population portugaise, dégoûtée de troubles sans cesse renaissans, à peu près privée de classes moyennes, demeure indifférente aux affaires de l’état, tant qu’elle n’en souffre point un tort matériel. Ce sont les paysans du Minho qui ont commencé la guerre contre les Cabral pour ne point payer une taxe de plus ; il se pourrait que le coup d’état qui au bout de quatre mois renverse leur successeur ait eu sa meilleure chance dans le concours des employés qu’on ne payait plus du tout. Les employés, très nombreux, très médiocrement rétribués, fonctionnent en même temps comme électeurs, et jusqu’ici ont nommé ou peuplé les chambres. Ce qui reste de bourgeoisie libre et de vieille noblesse s’abstient par paresse ou par incapacité ; des commis ou des juges parvenus, des soldats heureux, forment une aristocratie nouvelle au milieu de laquelle il reste à peine quelques anciens noms. C’est de là que sortent presque tous les mouvemens du pays, exploités par leurs chefs, comme le sont les pronunciamientos de l’Amérique espagnole.

Rien, du reste, n’est si commode à trouver en Portugal qu’un prétexte d’insurrection : le Portugal a toujours eu deux chartes en concurrence, de sorte que les mécontens n’ont jamais besoin de se mettre en frais d’invention ; il leur suffit de se déclarer pour la charte abrogée contre la charte en vigueur. Encore ne