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son programme, pour se mettre d’accord avec M. Dufaure, sans lequel il ne voulait pas entrer dans le conseil. Qu’arriva-t-il ? Avant les vingt-quatre heures, M. Lacave-Laplagne prêtait serment entre les mains du roi comme ministre des finances.

Tous ces bruits concernant plusieurs modifications dans le cabinet semblent avoir eu pour point de départ un incident qui, bien que fort simple, n’a pas laissé de produire une sensation assez vive : nous voulons parler de la visite, ou plutôt des deux visites de lord Normanby à Champlatreux. Depuis long-temps, lord Normanby est lié avec M. le comte Molé, et sa présence à Champlatreux était chose fort naturelle. Cependant, quand on sut que lord Normanby se disposait à partir pour Champlatreux, les conseils ne lui manquèrent pas : on lui fit observer qu’au milieu des circonstances délicates où se trouvaient les deux cabinets de Londres et de Paris, une visite à M. Molé serait l’objet de mille commentaires ; qu’on lui donnerait l’importance d’un événement politique, et qu’à coup sûr elle causerait au ministère du déplaisir et de l’inquiétude. Tout en reconnaissant ce que ces observations pouvaient avoir de juste, lord Normanby fit remarquer qu’il n’avait en ce moment aucune raison d’être agréable à M. Guizot, et il partit. A Champlatreux, une lettre de M. le ministre des affaires étrangères vint lui apprendre que ce dernier avait une communication à lui faire. Lord Normanby revint à Paris entendre la lecture de la note du 5 octobre ; puis il retourna chez M. le comte Molé. Enfin les deux nobles personnages allèrent ensemble aux courses : de Chantilly. Il n’en fallait pas tant pour donner naissance à une foule de conjectures : on parla de la retraite de M. Guizot ; on annonça que l’Angleterre, par l’organe de lord Normanby, faisait des ouvertures à M. le comte Molé, qui réparerait par des complaisances les torts de son prédécesseur. Quoique dépourvus de raison, ces bruits circulèrent durant quelques jours ; ils offensaient non-seulement le bon sens, mais le caractère d’un homme d’état dont les actes n’ont donné à personne le droit de penser qu’il pourrait revenir au pouvoir pour sanctionner par sa présence une politique de concessions et de faiblesse envers l’étranger. D’ailleurs, pour peu qu’on voulût y réfléchir, n’était-il pas évident que le cabinet, au moment où il venait de prendre la responsabilité des affaires d’Espagne, ne pouvait quitter le pouvoir, et se trouvait, par les événemens mêmes, appelé à défendre sa politique devant les chambres ?

L’Espagne a jusqu’à présent trompé l’attente de ceux qui nous avaient montré dans le double mariage la cause et le signal d’une inévitable anarchie. Sans trop nous porter garans de l’avenir, il nous semble qu’on peut féliciter l’Espagne des résultats qui ont été obtenus dans ces derniers temps. Le terrain est déblayé. La Péninsule peut entrer aujourd’hui en possession de son indépendance ; elle a résolu deux difficultés sérieuses : le mariage de la reine, la réforme de sa constitution. Tant que la reine Isabelle et sa sœur n’étaient pas mariées, une incertitude fâcheuse planait sur l’avenir des héritières de Ferdinand VII et de la monarchie de Philippe V. Par quelles combinaisons assurerait-on la perpétuité de la maison de Bourbon sur le trône d’Espagne ? Pet important problème vient de recevoir une solution long-temps attendue. D’un autre côté, si la constitution, promulguée en juin 1837, proclamait la monarchie et plusieurs des grands principes de l’ordre social, elle renfermait aussi des germes de trouble qui rendaient impossible l’exercice d’un gouvernement régulier, et qu’il était nécessaire