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Quand le pays et son gouvernement se trouvent engagés dans des difficultés dont l’heureuse solution importe à leur honneur, à leur dignité, il appartient à l’opinion, à la presse, de leur prêter un utile appui. Lord Palmerston avait repris, en 1846, l’attitude de 1840. Il annonçait encore l’intention d’annuler l’influence de la France. En effet, il disait dans sa note du 22 septembre que « la France possède dans son vaste territoire et dans ses immenses ressources les moyens de se maintenir dans le haut rang que la Providence l’a destinée à occuper, » et il ajoutait que « toute tentative de sa part pour se créer, par des moyens indirects, une influence illégitime sur d’autres états moins puissans devait aboutir nécessairement, et par la nature même des choses, à des désappointemens et à des échecs. » La pensée du ministre anglais n’était pas ambiguë. Il signifiait à la France qu’elle eût à s’effacer ; c’était presque une abdication morale qu’il lui prescrivait. Fallait-il céder à cette invitation étrange ? Quel est l’homme politique qui eût osé en donner le conseil ? Nous le demandons à ceux qui ont blâmé le plus vivement la conclusion des deux mariages.

Nous croyons que devant les chambres, en présence des faits et des documens qui serviront à les établir, l’opposition sentira le besoin de modifier le langage tenu sur cette affaire par quelques-uns de ses organes. Si vif que soit le penchant qui vous entraîne à blâmer la conduite de vos adversaires politiques, il y a des souvenirs, des principes qu’on ne peut oublier ; il y a un intérêt commun qu’on doit vouloir servir, sur quelques bancs que l’on siège : c’est celui du pays. En cherchant des modèles de bonne conduite parlementaire, nous rappelions, il y a quelque temps, comment dans une circonstance grave lord John Russell avait donné loyalement son concours à sir Robert Peel. Il y a un autre exemple qui convient d’une manière encore plus directe à la question qui nous occupe c’est l’appui qu’en 1840 les tories prêtèrent à lord Palmerston après le traité du 15 juillet ; ils ajournèrent leurs ressentimens, ils suspendirent leurs attaques contre le cabinet whig, que la force des choses fit tomber dix-huit mois plus tard. Les tories, n’en doutons pas, nous offriront encore aujourd’hui le même spectacle. Quels que puissent être au fond leurs sentimens sur la question, et leurs passions contre leurs adversaires, ils n’attaqueront pas le ministre qui représente non plus seulement son parti, mais l’Angleterre elle-même engagée dans un différend avec un cabinet étranger. C’est un des traits qui honorent le caractère anglais que cette solidarité dans les grandes affaires qui touchent à l’honneur national. Il y a certes dans les rangs de l’opposition française assez d’intelligence et de patriotisme pour imiter à propos une telle conduite.

Si l’opposition parlementaire accordait au cabinet, dans la question d’Espagne, un habile appui, une approbation méritée, au lieu de s’affaiblir, elle aurait plus d’autorité dans l’exercice de ses droits et de ses devoirs, dans les conseils qu’elle aurait à donner au gouvernement pour qu’il sût faire face aux nécessités d’une situation nouvelle. En effet, loin que tout soit terminé par la célébration des mariages et le retour des princes, il serait plus juste de dire qu’un nouvel ordre de choses commence pour nos relations extérieures. La base est déplacée ; le point de départ ne saurait plus être le même. Il y a trois mois, c’était l’alliance, c’était l’entente entre l’Angleterre et la France qui était la clé de voûte de notre politique étrangère. Aujourd’hui l’Angleterre est à notre égard singulièrement refroidie ; elle se dit blessée, et, s’il n’y a pas rupture ouverte, il n’y a plus la