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quand nous avons, dès le principe, reconnu à cette question toute sa portée dans le présent et pour l’avenir.

Il fallait une conclusion à la politique que nous avions suivie depuis treize ans à l’égard de l’Espagne. Quand Ferdinand VII eut fermé les yeux, la France accepta et travailla à maintenir l’ordre de succession qu’il avait établi, et qui devait, par les femmes, perpétuer en Espagne la race de Philippe V. Quel démenti, quel honteux dénouement à cette politique, si la reine Isabelle, dont nous avions protégé le berceau, eût donné sa main à un prince autre qu’un Bourbon ! Lord Aberdeen, quand il était aux affaires, eut la bonne foi de reconnaître que le gouvernement français ne pouvait accepter un pareil résultat. Il comprit que la quadruple alliance ne pouvait avoir pour effet l’humiliation de la France dans la question capitale du mariage de la reine Isabelle. Lord Palmerston a eu d’autres pensées, il a voulu nous infliger un échec qui devait nous être des plus sensibles. En l’évitant, nous avons su à la fois défendre les traditions de la vieille politique française et donner satisfaction à l’esprit nouveau de la révolution de juillet. Ne l’oublions pas, le gouvernement de la reine Isabelle représente et représentera de plus en plus les principes de la monarchie constitutionnelle dans le midi de l’Europe. S’il en était autrement, don Carlos et son parti n’existeraient pas et n’auraient pas de raison d’être. La politique qui vient de triompher n’a donc pas seulement servi un intérêt dynastique, elle a bien mérité de la cause constitutionnelle en Europe.

Voici un autre résultat qui n’est pas moins remarquable, c’est que les puissances qui vivent en dehors du système représentatif paraissent assister sans émotion à ce qui se passe. Cependant les provocations ne leur ont pas manqué. Lord Palmerston s’est adressé aux cabinets de Vienne, de Saint-Pétersbourg et de Berlin : il a cherché à leur faire épouser son mécontentement et ses griefs. Avec des nuances diverses, il a trouvé partout sur le fond des choses une froide réserve, et l’intention très marquée de ne point prendre parti dans le différend qui s’est élevé entre les deux cours des Tuileries et de Saint-James. Les trois puissances ont chacune des préoccupations fort graves. Le cabinet de Berlin est toujours comme en échec devant la question de savoir à quel moment et dans quelle mesure il donnera à la monarchie du grand Frédéric une constitution représentative. L’Autriche désire peu compliquer par de nouveaux incidens les embarras que lui causent la Gallicie, la Suisse et l’Italie. Quel est l’intérêt qui pourrait porter le czar à se déclarer pour l’Angleterre contre la France dans la question d’Espagne ? D’ailleurs, à quel titre les trois cabinets, quand même ils l’eussent désiré, eussent-ils pu, sur cette affaire, exprimer un avis ? La monarchie constitutionnelle de la reine Isabelle n’existe pas pour eux ; ils ne l’ont pas reconnue. Comment donc eussent-ils émis sur le mariage de la reine et de sa sueur une opinion, un blâme ? Leur dignité, la force des choses, leur conseillaient de s’abstenir, et c’est ce qu’ils ont fait. Aussi, lorsque lord Palmerston a voulu recruter contre nous des ressentimens, on ne lui a pas répondu. Il a tenté inutilement de renouer contre nous une coalition comme en 1840. Pendant six ans, l’Europe s’est modifiée à notre égard, et c’est un effet considérable de l’expérience et du temps. Le gouvernement de 1830 a acquis aujourd’hui assez d’autorité au dehors pour que ses prétentions légitimes ne suscitent plus de protestations et de résistances injustes.