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dramatique du mouvement qui valut à l’Allemagne Immermann et Grabe et l’intéressante période de Dusseldorf ; Michel Beer, sur l’invitation de M. le comte de Brulh, alors intendant des théâtres royaux, écrivit en 1826 une tragédie empruntée à cet épisode de l’histoire contemporaine du Danemark. Au moment d’être représentée, après diverses tribulations qui ne s’étaient pas prolongées moins d’un an, cette tragédie fut arrêtée par une réclamation du cabinet de Copenhague, qui s’opposait à ce qu’on passât outre, sous prétexte que l’événement du 28 avril 1772 éveillait de trop douloureux souvenirs dans le cœur du roi Frédéric VI. Aujourd’hui que de pareilles raisons n’existent plus, l’œuvre de Michel Beer ne pouvait manquer de se produire à Berlin. Tout y concourait, et d’abord le crédit si légitime dont jouit auprès de son souverain l’auteur du Camp de Silésie. Au nombre des qualités éminentes qui distinguent le caractère de Meyerbeer, il faut citer au premier rang un attachement profond, inviolable, à la mémoire littéraire de son frère, enlevé au plus beau de ses succès, et dont il semble, tant est vif et chaleureux le zèle qu’on lui voit prendre en toute occasion de ce genre, qu’il préfère la gloire à la sienne propre. Puisque rien n’empêchait plus de mettre Struensée à la scène, naturellement Meyerbeer devait amener le théâtre de Berlin à s’occuper de la tragédie de son frère. Bien mieux, voulant donner à cette reprise plus d’importance et de solennité, le maître de chapelle de Frédéric-Guillaume a composé tout exprès une ouverture et des intermèdes appropriés à la situation. Ce que Beethoven avait fait pour l’Egmont de Goethe, Meyerbeer l’a fait pour la tragédie de Michel, et cette illustration musicale, qui d’ordinaire ne s’accorde qu’aux chefs-d’œuvre, un beau mouvement de piété fraternelle en a décoré le drame de Struensée. Du reste, s’il faut en croire ce qu’on écrit de Berlin, ce zèle de famille, qui trop souvent aboutit aux puérils épanchemens d’une niaise sentimentalité, n’a conseillé cette fois que de grandes choses. Meyerbeer, on le sait, excelle à s’inspirer d’un sujet pour en exprimer en quelques traits le caractère et la physionomie. C’est là même une faculté de concentration qu’il possède avec certains poètes lyriques de son pays, des meilleurs s’entend, Goethe et Uhland, par exemple, et qui le rendrait admirablement propre à ce genre d’illustrations symphoniques usité par Beethoven dans l’ouverture de Coriolan et les fragmens d’Egmont dont nous parlions tout à l’heure. À ce compte, et au seul point de vue du développement de son génie, le séjour à Berlin n’est point à regretter : sans doute nous y perdons quelques opéras, l’Académie royale de musique surtout y perd des chances périodiques de fortune ; mais cette activité sans cesse maintenue en haleine par ses fonctions d’ordonnateur suprême de la musique du roi, cette nécessité de pourvoir aux besoins du moment, en provoquant l’imprévu, ne peuvent qu’exercer une excellente influence sur un talent peut-être un peu trop enclin de nature à la méditation, au calcul. Déjà, depuis quelques années, les conditions dont nous parlons ont eu, entre autres résultats, la Fête de Ferrare, le Camp de Silésie et les intermèdes de Struensée. De cette dernière partition, que la Gazette de Prusse place au rang des chefs-d’œuvre du maître, nous ne connaissons rien encore, et, si nous avons essayé d’en raconter ici l’historique, c’est uniquement dans l’intention de réformer un bruit qui nous a paru fondé sur une méprise. Le bruit se répand à peine que Meyerbeer doit écrire un opéra nouveau ;