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REVUE MUSICALE.
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Nous voudrions bien parler plus souvent de l’Opéra, et volontiers nous nous rappelons ces temps déjà éloignés où nous tenions, ici même, avec une si ponctuelle exactitude, les annales alors célèbres de notre première scène lyrique. C’est qu’au moins, à cette époque, la tâche en valait la peine ; pour un échec qui se rencontrait çà et là, on comptait vingt triomphes. Il y avait, en effet, un intérêt charmant, exquis, une curiosité rare et pleine d’intérêt à suivre, à travers ses fortunes diverses, cette restauration de la musique théâtrale entreprise avec tant de magnificence par l’auteur de Moïse et de Guillaume Tell, et continuée ensuite, on sait comme, par Meyerbeer, Auber et tant d’autres, ayant pour interprètes des chanteurs d’un ordre supérieur, et pour public un monde intelligent, actif, habitué à se retrouver chaque soir, et (qualité inappréciable qui désormais semble disparaître de la sphère des arts) franchement et généreusement passionné. C’était alors le temps de Robert-le-Diable et de la Juive, de Gustave, des Huguenots, de la reprise de Guillaume Tell, le temps de Nourrit, de Levasseur, de Mlle Falcon, de Mme Damoreau, enfin de Duprez. On conçoit qu’en présence d’un pareil état de choses la discussion sérieuse aimât à s’exercer, et le développement de ces esprits d’élite, de ces talens illustres, tous dans la plénitude de l’âge et de l’inspiration, offrait à la critique une étude des plus attrayantes.

Pourquoi insensiblement cette ère a-t-elle cessé ? Pourquoi maîtres et chanteurs se sont-ils retirés sans qu’une génération nouvelle leur ait succédé ? Pourquoi, dans ce public de l’Opéra, jadis si chaleureux, si impressionnable, la désuétude s’est-elle mise à ce point qu’il n’a qu’indifférence à l’endroit de tous les programmes, ne croit plus à rien de ce qu’on lui chante, et se moque du ténor qu’on s’en va chercher en Italie comme de la nouvelle partition de Rossini ? Questions profondes, insolubles, auxquelles nous ne nous aviserons point de vouloir répondre ; il y a dans la décadence comme dans la grandeur de certaines administrations de théâtre de ces jeux de hasard qui ne peuvent s’expliquer. On a intronisé la statue du chantre de Guillaume Tell sous le péristyle de l’Opéra : c’était un sphinx qu’il fallait y mettre ; peut-être eussions-nous appris, en l’interrogeant,