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des bronzes et des objets d’ornementation ; enfin la Société des amis des arts, dont les actions représentent un capital d’environ 80,000 fr., publie des gravures au burin et achète des tableaux.

Les sociétés chantantes, exclusivement composées d’ouvriers, sont au nombre de cent cinquante environ. Il suffit, pour être admis dans la plupart d’entre elles, d’improviser quelques couplets sur le thème éternel de la chanson française, le vin, la gloire ou les belles. Quelques-unes des inspirations les plus heureuses, recueillies dans ces réunions populaires, pourraient tenir leur place dans les œuvres de Désaugiers ou de Debraux ; mais ce sont là des exceptions, et la plupart des morceaux n’ont pas même le mérite de cette inspiration naïve qui a sauvé la mémoire de maître Adam Billault. Ce n’est point, du reste, sous le rapport littéraire que les sociétés chantantes méritent l’attention, mais elles témoignent d’un fait important, et ce fait, c’est la préoccupation des jouissances artistiques dans les classes ouvrières. On peut dire en outre que la chanson, si médiocre qu’elle soit, est un progrès sur la dissertation communiste.

On le voit par tout ce qui précède, jamais à aucune autre époque l’activité intellectuelle n’a été plus grande, jamais le progrès pacifique et calme n’a trouvé plus d’apôtres dévoués, et chez aucun peuple de l’Europe moderne, on peut le dire à l’honneur de notre temps, la discussion n’a été plus libre. Les sociétés académiques ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient dans le XVIIIe siècle, un bureau d’esprit, où les oisifs se réunissaient pour s’admirer mutuellement. De grandes révolutions se sont accomplies dans la marche de leurs études. Ainsi, dans l’antiquité, c’est la philosophie qui domine, puis la philosophie fait place aux lettres, l’érudition s’ajoute ensuite à la littérature ; enfin, dans ces dernières années, les sciences positives, les applications pratiques, l’économie sociale, attirent plus particulièrement l’attention. Chaque jour, ces sociétés tendent à se mêler plus activement à la vie publique, et, quand on étudie l’ensemble de leurs travaux, on ne tarde point à reconnaître qu’à de très rares exceptions près, elles se sont tenues sagement en dehors de toutes les exagérations qui se sont produites dans ces dernières années. Sans autres ressources que la bonne volonté de leurs membres, quelques-unes d’entre elles ont obtenu des résultats auxquels il eût été impossible d’arriver par de simples efforts individuels, et l’appui que le gouvernement se décide enfin à leur prêter leur donnera sans aucun doute une force et une activité nouvelles. Nous avons vu ce qui s’est fait à Paris, il nous reste à dire ce qui s’est fait en province ; ce sera l’objet d’une étude spéciale, où nous aurons à constater des résultats plus immédiats et plus sensibles encore.


CHARLES LOUANDRE.