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adversaires politiques de dures vérités ; mais ils sont vite contenus par la dignité vraiment sénile qui est d’étiquette dans cette jeune fashion politique.

Les avocats comme les législateurs surnuméraires se sont souvenus de cet axiome de Tacite, dans le Dialogue des orateurs : « que plus un homme est habile à parler, plus il arrive facilement aux honneurs ; plus il s’élève dans les honneurs mêmes au-dessus de ses collègues, plus il est en crédit auprès des grands, en faveur auprès du sénat, en renom auprès de peuple ; » ce qui veut dire, en langage moderne, plus il a de places et plus il gagne d’argent. Ils se sont souvenus également de ce précepte antique : « que l’éloquence demande une grande habitude, une grande assurance, surtout beaucoup d’exercice. » Et afin d’arriver à la véritable et incorruptible éloquence, pour parler toujours comme les anciens, ils ont institué, sous le titre de conférences, des joutes oratoires où se pressent, après le dernier examen et la thèse, tous les licenciés qui vivent dans l’espoir de devenir un jour des avocats occupés. Ces conférences, qui se tiennent au Palais, sont au nombre de vingt environ : on y simule des assises avec juges, ministère public, bureau, etc. Le tribunal, après l’appel des causes et les plaidoiries, rend des jugemens motivés, et donne son avis sur tous les orateurs qui ont porté la parole. C’est souvent une bonne occasion de faire des épigrammes, et, quand on s’adresse à des amours-propres rétifs, il en résulte une mêlée générale. Chaque année, les amendes sont consacrées à un grand repas, où l’on boit à l’éloquence, et c’est là peut-être la meilleure garantie de durée de ces institutions, qui ont encore l’avantage de donner aux avocats sans cause un faux semblant d’occupation. On peut en effet, après avoir été dix ans étudiant, rester dix autres années orateur de conférence, et se cantonner ainsi dans les loisirs d’une éternelle jeunesse en se persuadant sérieusement qu’on plaide.

A le bien prendre, ces sortes d’associations sont plutôt une affaire d’agrément qu’une affaire d’utilité réelle. Il en est de même du Collège archéologique et héraldique de France, où l’on s’amuse à jouer à la noblesse. Le Collège héraldique a pour objet principal l’étude du blason et la rédaction d’un livre d’or, sur lequel on inscrit l’état nobiliaire des familles. Il faut, pour faire partie de ce collège, appartenir à la noblesse ou à un ordre de chevalerie légalement constitué, et la seule condition d’admission qu’on exige, c’est de remettre sur une feuille de parchemin large de vingt-deux centimètres et haute de trente-trois une copie coloriée de ses armoiries. Le secrétaire-général donne des consultations généalogiques, et ce n’est pas une des moindres bizarreries de notre temps que de voir ainsi les enfans des hommes qui ont fait la révolution française exhumer des parchemins blasonnés de la cendre des bûchers de 93. Décidément M. Jourdain est ressuscité.

Comme l’éloquence oratoire et parlementaire et la science héraldique, les beaux-arts et la démocratie ont leurs associations. Trois sociétés dites des beaux-arts sont destinées à répandre le goût de la musique, de la peinture, du dessin et de la statuaire. La Société libre, qui compte aujourd’hui quinze ans d’existence, s’est donné pour mission spéciale d’examiner avec impartialité les expositions du Louvre, de protester contre les injustes exclusions du jury d’admission, et de consoler par des médailles les exposans méconnus. La Société d’encouragement des arts unis, reconstituée en 1841, favorise autant qu’il est en elle, par des loteries et des expositions, la production de la gravure au burin,