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des sciences physiques, mathématiques, sociales ou philosophiques, enfin de l’histoire des beaux-arts. Par malheur, l’importance des travaux ne répond pas à l’importance du programme ; les conditions d’admission étant le plus ordinairement réduites au paiement de la cotisation annuelle, il est résulté de là que des personnes complètement étrangères aux études historiques, mais ambitieuses d’un titre qui pouvait donner lieu à une confusion flatteuse pour la vanité, se sont enrôlées sous la bannière de l’Institut avec la bonne volonté de payer leur quote-part et l’intention de ne rien faire. On a eu de là toute une liste de membres très étendue et une liste de travailleurs passablement restreinte. Il faut donc quelquefois chercher long-temps dans les dix-huit volumes de l’Investigateur historique, recueil mensuel de la société, pour y trouver quelques renseignemens utiles mais du moins y rencontre-t-on, au milieu de beaucoup de fatras, quelques pièces éditées pour la première fois et qui présentent un intérêt véritable. Chaque année, l’institut se réunit en congrès, et alors, comme les discours d’apparat donnent toujours lieu à quelques allusions flatteuses, on voit paraître dans les stalles d’avant-scène quelques représentans de l’Académie française ou de l’Académie des inscriptions, qui trônent à toutes les séances solennelles pour respirer quelques grains d’encens.

La Société des bibliophiles français s’occupe uniquement de la publication d’ouvrages inédits ou de la réimpression des livres rares qui intéressent notre histoire nationale ou notre ancienne littérature. Lorsque le livre n’offre que l’attrait de la curiosité bibliographique, on se borne à tirer un nombre d’exemplaires égal à celui des membres ; lorsqu’il s’adresse au contraire au public érudit ou lettré, le tirage est porté à cent, quelquefois mime à cent cinquante exemplaires, sur lesquels les bibliophiles français ont toujours droit soit au grand papier, soit au vélin. La bibliomanie n’impliquant que la passion et nullement la science, il suffit, pour être reçu au nombre des bibliophiles, d’aimer les livres, fût-ce même d’amour platonique, d’avoir une bibliothèque et de payer une cotisation annuelle de 100 fr. Du reste, depuis bientôt trente ans qu’elle existe, la Société a rendu à l’érudition et à l’histoire de véritables services. Elle a fait imprimer à ses frais une centaine de volumes et des brochures parmi lesquels on distingue des lettres inédites de Diderot, de Voltaire et de quelques autres hommes célèbres des deux derniers siècles. Elle prépare en ce moment, sur un manuscrit unique appartenant à l’un de ses membres, une édition du Ménagier de Paris, qu’on dit fort curieux pour l’histoire de la vie privée des Français au XIVe siècle. On pourrait peut-être avec raison accuser les bibliophiles d’apporter dans la reproduction des raretés une parcimonie tant soit peu égoïste ; mais l’amour des vieux livres est aujourd’hui si rare, que vingt-quatre exemplaires suffisent à la consommation. Le temps n’est plus où l’on s’imposait les privations et le travail pour acquérir une de ces raretés, qu’on voit, comme le phénix, apparaître tous les cent ans, heureux temps où les livres des ancêtres, respectés comme leur mémoire, formaient dans la famille un patrimoine sacré. Mécène vendrait aujourd’hui son Horace offert par l’auteur et mettrait à l’encan la bibliothèque des rois ses aïeux. Les grands papiers, les vélins, les belles marges, ont fait leur temps, comme tant d’autres choses ; bon nombre de nos écrivains modernes n’ont guère que leurs œuvres dans leur bibliothèque, et, si le titre de bibliophile fut long-temps une sorte de baptême littéraire, on ne s’inquiète guère aujourd’hui des Elzevirs de