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Après avoir débarqué, nous restâmes un instant indécis, cherchant à découvrir au milieu des ténèbres quelque indice qui pût nous guider vers le camp des Apaches. Je fis entendre alors le cri de Santiago ! accompagné d’un certain claquement de langue familier à l’oreille de mon cheval, bien persuadé que, s’il était parmi le butin, il répondrait à mon appel. En effet, un hennissement se fit entendre assez près de nous et nous mit dans la direction. Après avoir fait quelques pas, nous tombâmes sur un groupe de mules et de chevaux étroitement garrottés. A côté de ces animaux s’élevait un monceau de selles, d’étoffes, de couvertures, et d’autres objets pillés par ces larrons. Je fis rouler d’un coup de pied tout cet amas de paquets, parmi lesquels je distinguai notre ballot de peaux de loutres à peu près intact. Au moment où je me baissais pour le ramasser, je crus remarquer un mouvement presque imperceptible sous une couverture. Je la soulevai et j’aperçus un jeune Indien à qui probablement la garde du butin avait été confiée. Le louveteau, qui se voyait pris, resta silencieux, laissant lire dans ses yeux farouches plutôt la colère que la peur. Je l’enveloppai sans cérémonie dans une couverture et j’appelai mon associé, resté en sentinelle sur le bord de l’eau. Un coup de carabine me répondit, et le Canadien accourut vers moi.

— Je viens d’en envoyer un rejoindre les autres, et les coquins vont nous laisser encore quelques instans de répit ; mais il n’y a pas de temps à perdre.

Je confiai aussitôt mon jeune prisonnier au Canadien et je coupai les entraves de mon cheval. En quelques minutes, deux chevaux furent harnachés tant bien que mal.

— En selle ! dis-je au Canadien ; chargez-vous de nos peaux, je fais mon affaire de ce jeune garçon, qui ne se doute pas qu’il aura l’honneur de délivrer quelques âmes du purgatoire ; ne vous inquiétez pas du reste, mon cheval obéit à ma voix, et le vôtre le suivra.

Je coupai les liens des autres animaux, car je pensai que les Indiens emploieraient à réunir leur butin dispersé un temps précieux pour nous ; puis, montant à cheval, je les poussai dans la direction du gué que j’avais remarqué la nuit précédente. Les chevaux et les mules délivrés hennissaient de joie, les Indiens hurlaient comme une bande de loups qui fuient devant un jaguar ; nos cris de triomphe répondaient à tous ces cris, et les échos du fleuve répétaient en mugissant un tapage vraiment infernal. Arrivés au bord opposé de la rivière, une marche forcée nous mit bientôt à l’abri de toute poursuite, et c’est ainsi que nous sommes arrivés ce matin à l’hacienda, après avoir reconquis notre butin, mon cheval, et fait prisonnier un jeune Indien que je vendrai le plus cher possible, car on me l’achètera pour en faire