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était trop lourde pour que nous pussions en tirer à deux le parti convenable. Déjà nous avions sauté dans la plus petite, et nous cherchions à entraîner la plus grande avec nous pour rendre la poursuite impossible à nos ennemis, quand de nouveaux hurlemens nous apprirent que nous étions aperçus. Une grêle de flèches vint tomber près de nous ; sans hésiter davantage, nous poussâmes notre pirogue en pleine eau, et nous nous mîmes à ramer de toutes nos forces pour gagner le second îlot dont je vous ai parlé, et qui seul pouvait nous offrir un refuge. Nous avions sur nos ennemis une avance considérable, et le bras de la rivière était assez large pour nous mettre à l’abri d’une seconde décharge de flèches. Notre pirogue volait sur l’eau sous l’impulsion vigoureuse du Canadien. Ah ! me disait-il d’un air de regret, si vous saviez manier l’aviron comme moi, je ferais faire à ces coquins une promenade sur l’eau qui leur coûterait tous leurs guerriers un à un, mais avec vous nous serions pris à l’abordage. — Nous n’étions plus qu’à quelque distance de l’île quand nos ennemis se précipitèrent dans leur embarcation et se mirent à notre poursuite. Le Canadien cessa un instant de ramer et me dit :

— Maintenez-vous ici, s’il est possible, pendant quelques instans, car je ne puis résister au désir d’envoyer une balle à ces chiens affamés.

Je pris l’aviron, le Canadien visa au hasard sur le groupe, fit feu, et l’un des rameurs sauvages, en tombant par-dessus le bord de la pirogue, manqua de la faire chavirer. Je n’essaierai pas de décrire la rage de nos ennemis, qui cessèrent de ramer à leur tour pour nous envoyer de nouveau leurs flèches impuissantes. Quelques coups de rames nous firent arriver sur le bord ; nous mîmes pied à terre, et emportant notre canot sur nos épaules, nous nous enfonçâmes dans les bois qui couvraient l’île. Nous ensevelîmes la pirogue sous d’épaisses broussailles, et, cela fait, nous cherchâmes un endroit où nous pussions nous défendre sans être enveloppés. Près de la rive où nous avions débarqué, un monticule couronné de grands arbres s’élevait à pic du côté de l’eau, et du côté de l’île en pente assez douce. Ce fut le poste que nous choisîmes.

Cependant le bruit des avirons ne paraissait pas se rapprocher de nous ; je soupçonnai quelque ruse et m’avançai avec précaution derrière le tronc d’un gros acajou qui s’inclinait un peu sur la rivière ; la pirogue, au lieu de venir aborder à l’endroit où nous étions descendus, glissait le long de l’île pour la doubler. Il était dès-lors évident que les coquins voulaient se mettre hors de la portée de nos carabines, prendre pied à une assez grande distance pour que nous ne pussions nous opposer à leur débarquement, et s’avancer vers nous à l’abri des arbres et des buissons. Heureusement notre position sur l’éminence nous mettait, par derrière, à l’abri d’un coup de main et ne nous rendait