— N’avez-vous pas entendu un hurlement ? dis-je à Bermudes.
Le chasseur secoua la tête en riant.
— Quand vous aurez une fois, une seule fois, entendu le rugissement du tigre, reprit-il, vous ne serez plus exposé à le confondre avec les bruissemens des maringoins. D’ici à quelques heures, vous serez à cet égard aussi savant que moi.
C’était une fausse alarme. Le chasseur continua :
— Vous concevez que, si nous étions découverts, c’en était fait de nous, car nous avions tous ces démons à la fois sur les bras. Ce fut donc pour nous un moment plein d’angoisse que celui où ils prirent pied à terre. Pendant quelques minutes qu’ils passèrent à se consulter, nous restâmes sans haleine ; heureusement Dieu voulut qu’ils se dirigeassent dans le sens opposé à notre cachette. Les trois Apaches remontèrent le cours de l’eau. J’avais toujours avec moi cette maudite selle que, dans un moment d’exaspération, j’avais fait vœu de mettre sur le corps d’un de ces brigands mort ou vif. Je la cachai sous les branches, puis, profitant de la lisière d’arbustes qui entourait la rivière, nous nous glissâmes silencieusement derrière les Indiens. Le Canadien, malgré son grand corps, rampait avec l’agilité d’un boa, et je le suivais de mon mieux. Nous avions à peine parcouru ainsi une centaine de tares, quand nous fîmes lever devant nous un cerf magnifique, qui s’élança du côté de nos ennemis. Le sifflement aigu de la corde d’un arc nous annonça qu’il avait été vu, et l’animal revint s’abattre à vingt pas devant nous, serré de près par l’Indien qui l’avait blessé et qui accourait l’achever. Le cerf, en se défendant, renversa son antagoniste, et j’étais encore stupéfait de cette alerte imprévue, quand le Canadien, que je croyais près de moi, s’était déjà élancé en avant, et, clouant d’une main l’Indien sur le sol d’un coup de couteau, étouffait de l’autre dans son gosier un hurlement d’agonie que nous fûmes seuls à entendre.
— Et d’un, dit le Canadien.
— Nous prêtâmes l’oreille avec anxiété ; les voix lointaines des Indiens qui appelaient leur camarade retentissaient dans les bois. Le Canadien répondit à cet appel en cherchant à imiter le cri du chasseur à la poursuite du cerf. Un second appel encore plus éloigné nous fit comprendre que les deux Indiens souhaitaient bonne chance à leur compagnon, et nous n’entendîmes plus rien. Tout cela s’était passé en moins de temps que je n’en mets à vous le dire, et le crépuscule durait encore. Ce n’était qu’à la faveur de cette demi-obscurité que nous pouvions espérer lie surprendre les deux autres Apaches, et il fallait se hâter. Comme nous nous éloignions de l’île où étaient campés les Indiens, et que nous n’étions plus que deux contre deux, nous avions moins de précautions à prendre, et nous marchions plus vite dans la direction des voix que nous avions entendues. Nous arrivâmes ainsi à un petit ruisseau qui se