Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas pour la Russie. En outre, il résulte de là que le panslavisme véritable, confondu avec son homonyme de Russie, demeure sans aucun encouragement de la part de l’opinion publique de l’Europe, et qu’une foule d’hommes énergiques sont réellement forcés par, la misère d’offrir leurs services aux Russes.

Malgré tant de circonstances fâcheuses, le monde slave porte en lui trop d’élémens hétérogènes pour pouvoir jamais être transformé d’une manière permanente en un seul état. Les Slaves, espérons-le, sauront prendre dans l’Europe moderne la position qu’ont occupée dans le monde ancien les Hellènes. Comme il y avait l’empire de Macédoine en face des républiques d’Athènes, de Sparte, d’Argos, toutes plus ou moins unies contre les envahissemens des Philippes, ainsi dans le monde slave il y a d’un côté l’empire encore à demi barbare de la Russie, formé des élémens les plus opposés, et qui menace de tout fondre dans sa substance ; de l’autre côté, il y a les Slaves purs, qui ne peuvent garder une existence indépendante qu’en se confédérant, qu’en créant une sorte d’amphyctionie. Cette ligue, renouvelée pour le fond de celle des anciens Grecs, en différerait sans doute pour la forme, puisqu’elle supposerait une centralisation intérieure et une organisation militaire assez fortes pour repousser toutes les intrigues, toutes les attaques des Philippes de Moscovie. Que ceux qui reculeraient devant les énormes difficultés d’une pareille coalition cherchent un autre moyen de refouler la Russie. Je ne connais, pour ma part, de réalisable qu’une fédération d’états slaves créés et garantis par l’Europe et destinés à grandir sous sa tutelle jusqu’à ce qu’ils soient enfin capables de se défendre par eux-mêmes contre l’autocratie. Qu’on l’appelle comme on voudra, cette confédération sera toujours du panslavisme, comme dans l’antiquité l’amphyctionie grecque était du panhellénisme.

Je sais que beaucoup d’hommes éminens hors des pays slaves traitent ces idées d’utopies ; on va jusqu’à regarder la coalition libre des diverses nations de race slavone comme tout aussi impossible que le serait la réunion de toutes les nations romanes ou germaniques en un seul corps ; mais on peut répondre que, si de telles coalitions ne sont pas encore possibles dans l’ordre politique, elles deviennent peu à peu un fait dans l’ordre moral. L’Italie et l’Espagne marient chaque jour davantage leur génie et leurs idées au génie et aux idées de la France, et l’heure où notre pays serait sérieusement menacé dans son indépendance serait infailliblement l’heure qui verrait se décider d’une manière définitive avec l’union franco-latine une espèce de panlatinisme. Quant à la centralisation de tous les états allemands en un seul, cette antique chimère entre de plus en plus dans le monde réel. Depuis la fondation du Zollverein, l’unité germanique fait des progrès rapides et peu rassurans, il faut l’avouer, pour la France. Si cette unité du germanisme ne peut