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commerce obligent d’imprimer des livres à lettres latines dans les pays à alphabet cyrillique, tels que la Valachie et la Russie, et en retour, dans les pays latins, comme en Bohême et en Croatie, on publie des ouvrages imprimés avec les caractères propres aux Slaves orientaux. Ainsi ces deux alphabets, qui semblaient devoir parquer à jamais les Slaves en deux camps, commencent à ne plus être qu’un obstacle secondaire. Chaque homme instruit se croit maintenant obligé de savoir lire dans les deux alphabets, dont l’enseignement atteint jusqu’aux écoles de village.

L’idée qui sert de base au panslavisme n’est point d’ailleurs une idée nouvelle. Les anciens Grecs étaient panhellénistes, quoique divisés en plusieurs républiques rivales. On doit même remarquer que, comme les Slaves modernes, les Hellènes avaient aussi quatre dialectes, ionien, attique, éolique et dorien. Sans doute les divers dialectes grecs de l’antiquité ne différaient pas entre eux, à beaucoup près, autant que ceux des Slaves. En outre, ils n’ont pu parvenir à régner ensemble et simultanément sur la littérature hellénique. D’intimes et continuels rapports, facilités par le peu d’étendue territoriale des petits états de la Grèce, unissaient entre elles les diverses peuplades de la race hellénique. Entre les nations slaves, les mêmes rapports n’existent pas ; l’immense étendue de territoire qu’elles occupent rend leurs communications beaucoup plus difficiles. Voilà pourquoi les divers dialectes slaves diffèrent entre eux beaucoup plus que les anciens dialectes grecs ; mais la nécessité de les mettre en contact, d’assurer par la solidarité littéraire le développement normal et simultané de chacun d’eux, cette nécessité est de plus en plus sentie par tous les slavistes, et, on peut le dire, par les gouvernemens eux-mêmes. De là les chaires publiques de littérature slave déjà établies sur tant de points différens.

Le premier résultat du panslavisme littéraire devra être d’abattre toutes les barrières morales élevées par le despotisme pour séparer les peuples. Le panslavisme sera dans l’Orient slave ce que sont en Occident les chemins de fer. Le panslavisme comblera les abîmes. Même séparé politiquement, même servant des monarques ennemis les uns des autres, sujet du sultan ou de Frédéric-Guillaume, Polonais, Moscovite ou Illyrien, tout vrai Slave, faisant taire ses opinions de parti, tendra à son frère malheureux une main amie. En tout ce qui ne nuira pas à sa patrie particulière, il soutiendra les autres patries slaves, et jouira du progrès fait par chacune d’elles dans les voies de l’émancipation.

Sans doute les partisans de l’insurrection militaire sont peu favorables aux panslavistes ; ils se moquent de ces paisibles et inoffensifs savans qui prétendent amener sans effusion de sang une transformation sociale, qui croient que les idées libérales triompheront par leur propre force, comme si les idées, privées d’un levier matériel, étaient autre