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secrètes où Russes et Polonais entraient ensemble, dans le dessein d’obliger l’empereur Alexandre à donner à ses peuples une constitution plus ou moins modelée sur la constitution française. Tandis que ces sociétés s’organisaient dans l’ombre, les Bohêmes et les Illyriens de la Hongrie formaient à découvert des associations à la fois savantes et patriotiques pour réveiller au sein des peuples slaves, par des publications littéraires, le sentiment endormi de la nationalité. Une académie illyrienne, fondée à Novisad sous la direction du célèbre Chafarjik, commença à répandre parmi la jeunesse l’amour du dialecte illyrien et des idiomes qui lui sont affiliés. Enfin une réunion de riches propriétaires, formée dans la Slavonie hongroise sous le nom de Serbska Matitsa (la Ruche serbe), fournit les fonds nécessaires pour la publication d’une revue serbe, destinée à propager les principes panslavistes, qui avaient déjà présidé à la création de l’académie illyrienne de Novisad. Depuis lors cette revue n’a pas cessé de paraître. Son influence se combine avec celle d’un autre organe encore plus important du panslavisme, le Tcha sopis tcheskeho museum (Annales du musée de Bohême), qui se publie à Prague, également aux frais d’une société riche et animée des intentions les plus généreuses.

Autour de ces sociétés, toutes pacifiques et exclusivement littéraires, n’ont pas tardé à se grouper des sociétés moins paisibles, surtout depuis la révolution polonaise de 1831. Dans la plupart des universités des pays slaves, les étudians et toute la jeunesse éclairée ont commencé à fonder des casinos et des lieux de réunion, pour s’y procurer et pour lire les journaux et les ouvrages remarquables qui se publient dans toutes les langues slaves. Il en est résulté une fermentation inaccoutumée des esprits. Le public russe lit avec sympathie les publications polonaises ; les Illyriens s’intéressent aux recueils publiés à Prague, et les Bohêmes aux recueils de la Croatie. Ce mouvement ne peut avoir qu’une heureuse influence. Une telle réciprocité élargira les idées, propagera la civilisation parmi les Slaves, dissipera les préjugés réciproques qui les ont jusqu’ici empêchés de se comprendre, et qui ont amené leur commune oppression. La littérature y trouvera un avantage immense. Ce qui a surtout paralysé les écrivains slaves, c’est qu’un public suffisant pour la vente et l’écoulement de leurs ouvrages leur a manqué jusqu’à ce jour. Tous ceux à qui le destin avait refusé une fortune patrimoniale étaient donc condamnés irrévocablement à la misère. Si au contraire les Slaves éclairés s’accoutument à lire tous les ouvrages remarquables publiés dans les quatre langues slavones, alors les auteurs slaves pourront tirer de leur plume des ressources d’existence matérielle dont ils ont jusqu’ici été privés.

En outre, une communication plus intime entre les quatre dialectes Slaves aidera les écrivains à purifier peu à peu leur style d’une foule