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sauvagerie extrême, ne voyait dans cette obligation qu’un ennui ajouté à tous les autres. Il fallut presque de l’importunité pour vaincre sa répugnance ; mais la grace aimable de cette jeune personne surmonta peu à peu cette résistance, et l’artiste consentit à l’accueillir. L’attachement profond qui naquit de leurs rapports mutuels contribua non-seulement à arracher Prudhon au sentiment de ses infortunes passées, mais à l’échauffer aux grandes entreprises et à le soutenir au milieu de ses travaux. Ce n’est guère là, l’effet ordinaire d’une semblable liaison, surtout à l’âge où Prudhon était parvenu. Son activité, au lieu de s’endormir, ne fit que s’accroître ; et sons esprit, dégagé des plus cruelles entraves, allait prendre tout son essor.

Il faut rapporter à cette époque l’exécution de son beau plafond de Diane implorant Jupiter, qui décore l’une des salles des antiques au Musée. Prudhon est là tout entier : la noblesse et la légèreté de la déesse, la disposition savante, la beauté de ce fond sur lequel on entrevoit les divinités de l’Olympe noyées dans une lumineuse vapeur, tout cela est d’un maître achevé. La conservation et la fraîcheur de ce morceau sont parfaites. Ces dernières qualités ne sont pas inutiles ; à noter dans l’œuvre de Prudhon. L’emploi de procédés particuliers appropriés à sa manière d’exécuter a eu quelquefois des résultats fâcheux pour ses ouvrages, et particulièrement pour ceux auxquels il travailla le plus. Sa manière habituelle consistait à ébaucher son sujet avec un ton uniforme ordinairement gris qui lui permettait de se rendre compte de l’effet de l’ombre et de la lumière avant d’en venir aux finesses de la couleur et du contour. Il revenait sur cette préparation avec des glacis ou de légers empâtemens qui la voilaient en quelque sorte, mais sans la faire entièrement disparaître. L’emploi de ces moyens, dit M. Quatremère dans sa notice, lui donnait la facilité « de retoucher, de laisser, de reprendre son ouvrage à chaque accès d’un sentiment qui, trop vif pour être durable, agissait chez lui par intermittence. » Cette explication ; qui nous paraît rendre très bien sa manière de travailler, donne aussi la raison de la lenteur qu’il mit souvent à achever ses ouvrages. Avec un esprit aussi amoureux du sublime, il ne devait atteindre à la perfection de son ouvrage qu’après de nombreux tâtonnemens ; on voit aussi, dans l’emploi de cette méthode, la raison des altérations que le temps a pu amener dans ses tableaux ; ces travaux successifs et l’emploi de siccatifs destinés à les faciliter ont contribué à altérer quelques parties de ses peintures. Il est arrivé aussi que le ton gris des dessous a reparu à travers les glacis trop légers, qui avaient paru suffisans au moment de l’exécution. Vers la fin de sa vie, il usa moins de cette manière de procéder ; celle qu’il adopta, particulièrement pour ses portraits, était presque entièrement opposée, car il peignait sur un fond de couleur