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le Censeur, qui devait être repris plus tard sous le cap Saint-Vincent par le contre-amiral Richery, fut le seul qu’ils purent ajouter à leur escadre. De notre côté, nous avions capturé le Berwick et occasionné la perte de l’Illustrious. Le combat du 14 mars n’eût donc point été une affaire désastreuse pour notre marine, si l’abandon de deux vaisseaux sur le champ de bataille, en présence de forces à peu près égales, n’était un de ces événemens funestes qui doivent peser sur le sort de toute une campagne. Nelson, avec la rapidité de coup d’œil et la sûreté de jugement d’un homme destiné à de grandes choses, avait compris qu’une escadre qui se résignait à de tels sacrifices était une escadre démoralisée, à demi vaincue, et qu’il fallait se hâter de poursuivre. Il se rendit donc à bord de l’amiral Hotham, le pressa de laisser ses vaisseaux désemparés et ceux qu’il venait d’amariner sous l’escorte de quelques frégates, et de se lancer avec les onze vaisseaux valides qui lui restaient à la poursuite de l’ennemi ; « mais lui, beaucoup plus calme, écrivait Nelson à sa femme, me répondit : Nous devons être satisfaits, nous avons eu là une bonne journée. Pour moi, je vous l’avoue, je ne puis être de cet avis, car, de ces onze vaisseaux français qui fuyaient, en eussions-nous pris dix, si nous eussions laissé échapper le onzième, le pouvant capturer, je ne pourrais appeler cela une bonne journée. Je voudrais être amiral à mon tour, et commander une flotte anglaise. J’aurais bientôt obtenu de grands résultats ou éprouvé un grand revers. Ma nature ne saurait supporter de demi-mesures. Bien certainement, si la flotte eût été sous mes ordres le 14 mars, l’armée ennemie tout entière eût embelli mon triomphe, ou je me serais trouvé moi-même dans un terrible embarras. »


VII.

Malgré l’insuccès d’une première tentative, le gouvernement français n’avait point renoncé à envoyer des renforts à la flotte de la Méditerranée. Le 22 février 1795, le contre-amiral Renaudin, déjà illustré par le combat du Vengeur, partit de Brest avec six vaisseaux, et trois frégates, et le 4 avril il mouillait en rade de Toulon, apportant au vice-amiral Martin un secours d’autant plus opportun, que, parmi les vaisseaux déjà rangés sous ses ordres, venaient de se manifester les symptômes les plus alarmans d’indiscipline. L’amiral Hotham, de son côté, avait été rallié à la hauteur de Minorque par une escadre de neuf vaisseaux que lui amenait le contre-amiral Mann. Ayant alors sous son pavillon 21 vaisseaux anglais et 2 vaisseaux napolitains, il revint mouiller à Saint-Florent. Il ignorait que l’amiral Martin avait déjà repris la mer avec 17 vaisseaux et manœuvrait à l’entrée du golfe de Gênes. Ayant rencontré le vaisseau l’Agamemnon, que l’amiral Hotham avait