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« C’est une puissance infaillible (lui écrivait son père, esprit grave et religieux pour lequel Nelson éprouvait une vénération profonde), c’est une puissance pleine de sagesse et de bonté qui a diminué la force du coup dont vous avez été frappé. Bénie soit cette main qui vous a sauvé pour être, j’en suis certain, perdant bien des années encore, l’instrument du bien qu’elle prépare, l’exemple et la leçon de vos compagnons ! Il n’y a point à craindre, mon cher Horace, que ce soit jamais de moi que vous vienne une dangereuse flatterie ; mais, je l’avoue, j’essuie quelquefois une larme de joie en entendant citer votre nom d’une manière aussi honorable. Puisse le Seigneur continuer à vous protéger, à vous diriger, à vous assister dans tous vos efforts pour accomplir ce qui est salutaire et équitable ! Je sais que les militaires sont généralement fatalistes. Cette croyance peut sans doute être utile, mais il ne faut pas qu’elle exclue la confiance que tout chrétien doit avoir dans une providence spéciale qui dirige tous les événemens de ce monde. Votre destinée, croyez-le bien, est dans les mains du Seigneur, et les cheveux même de votre tête sont comptés. Je ne connais point, quant à moi, de doctrine plus fortifiante. »

En vérité, il y a une grande élévation de pensée dans ces accens à la fois émus et résignés. Le sentiment du devoir n’y a point laissé de place pour ces insinuations timides qu’on eût pardonnées cependant à la tendresse d’un père. Le noble vieillard n’engage point son fils à ménager sa vie ; mais, les yeux levés au ciel, il espère, pour employer les expressions mêmes que nous retrouvons dans une autre de ses lettres, que Dieu le défendra de la flèche qui vole à la clarté du jour et de la peste qui chemine dans l’ombre de la nuit. C’est bien là le langage inspiré et biblique, le ton plein de vigueur de cette grande église, aujourd’hui chancelante, qui combattit vingt ans notre révolution et ses tendances. Ce sont bien ces fortes maximes qui semblent moins destinées à former des chrétiens pour le ciel que des citoyens pour la vieille Angleterre, ces hautes notions du devoir où l’on retrouve plus souvent peut-être les inspirations du Dieu de Moïse que les touchantes leçons du Dieu de l’Évangile, mais dans lesquelles il est impossible de méconnaître le germe et le principe des plus nobles vertus militaires. Les Anglais, il n’en faut pas douter, n’ont point été seulement, dans la longue et sanglante guerre qu’ils nous ont faite, d’habiles et persévérans automates ; ils ont été, comme nous l’étions alors, des combattans ardens et convaincus, mourant, comme nous, pour l’autel et le foyer, animés d’un enthousiasme semblable au nôtre, et aussi prêts que nous à se sacrifier pour le triomphe de leurs idées et le succès de leurs principes. Si, pendant cette terrible lutte, ils n’eussent point eu aussi quelque source sacrée où retremper leur dévouement et leur énergie, jamais ils n’auraient pu résister à cette race héroïque chez laquelle la vertu la plus commune fut un suprême mépris de la mort. Malgré la supériorité de leurs vaisseaux, la rapidité et la précision de leur tir, ils eussent été emportés, comme une paille légère, par ce tourbillon d’hommes et de