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plus grands éloges. Chose singulière, cet homme, chez lequel certains actes d’une triste célébrité sembleraient accuser une ame inflexible, était doué, au contraire, d’une grande sensibilité et de la nature la plus affectueuse. L’exercice même de cette autorité despotique et sans contrôle dont il fut si long-temps investi n’avait pu altérer chez lui cette égalité d’humeur et cette facilité de mœurs qui le distinguaient dans la vie privée, et qu’il portait jusque dans ses moindres relations de service. Il suffit de parcourir sa correspondance pour ne point conserver le plus léger doute à cet égard. On ne trouverait peut-être pas dans tout le cours de ce volumineux recueil, où Nelson s’abandonne aux effusions les plus intimes, une seule plainte contre ses vaisseaux, ses officiers ou ses équipages. Tout cela est excellent, dévoué, plein d’ardeur, et tout cela le devient en effet sous l’influence de cet heureux optimisme et de cette disposition affable et bienveillante. C’était là, du reste, le grand art de Nelson. Il savait s’adresser si bien aux aptitudes particulières de chacun, qu’il n’était si méchant officier dont il ne parvînt à faire un serviteur zélé, souvent même un serviteur capable.

Le temps pendant lequel il conserva le commandement de ce petit vaisseau de 64 fut le plus heureux de sa vie. Il était alors bien loin de prévoir toute la gloire qui s’attacherait un jour à son nom, mais une réputation honorable avait déjà récompensé ses efforts, et le ton joyeux qui règne dans les lettres qu’il écrivit à cette époque forme un intéressant et pénible contraste avec l’abattement qui se trahit à chaque ligne de sa correspondance, quand, au milieu des honneurs et des enivremens qui suivirent la bataille d’Aboukir, mécontent de lui et des autres, il appelait de tous ses vœux une mort glorieuse et semblait n’aspirer qu’au repos de la tombe. En 1794, moins illustre, mais plus heureux, plus satisfait de lui-même, battu de ces ouragans du golfe de Lyon dont il ressentait pour la première fois la violence, ayant à peine touché terre depuis son départ d’Angleterre, il trouvait délicieuse cette vie rude et active, et la sérénité de son ame lui rendait ces épreuves légères. « Depuis quelque temps, disait-il, nous n’avons eu que des coups de vent ; mais avec l’Agamemnon nous n’y prenons pas garde… c’est un si bon vaisseau. Nous n’avons pas d’ailleurs un malade à bord. Comment y en aurait-il avec un si vaillant équipage ? Et lord Hood ! quel excellent officier ! Tout ce qui vient de lui est tellement clair, qu’il est impossible de ne point comprendre ses intentions. » Ainsi enchanté de son vaisseau, de son équipage et de son amiral, Nelson se promettait bien de ne point perdre une heure de cette guerre, et quoique tout le profit qu’il osât en attendre fût quelque joli cottage du prix d’environ 2,000 liv. sterl., quoiqu’il y eût alors dans la Méditerranée plus d’honneur que de profit à recueillir, il prenait gaiement son parti de toutes les privations et de toutes les misères, maintenant sa chétive santé à travers les fatigues et