Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup de vaisseaux à trois ponts, sorte de vaisseaux de tout temps regardés comme formidables ; mais les uns, de 100 canons, comme le Victory, qui porta successivement le pavillon de l’amiral Hood, de l’amiral Jervis et de lord Nelson, comme le Queen Charlotte, sur lequel l’amiral Howe venait d’arborer le sien, bien qu’excellens navires faits pour résister à de rudes croisières, ne pouvaient d’aucune autre façon soutenir la comparaison avec les trois-ponts français ou espagnols ; les autres, connus sous le nom de vaisseaux de 98 ou de 90, qui égalaient à peine, sous le rapport de la masse de fer qu’ils pouvaient lancer, nos magnifiques vaisseaux de 80, quoique ces derniers n’eussent que deux batteries, leur étaient surtout inférieurs par le manque absolu de qualités nautiques. A côté de ces deux classes de vaisseaux de premier rang, nos vaisseaux de 120 canons, tels que la Montagne[1] et le Commerce de Marseille, que montait à cette époque l’amiral Trogoff, nos vaisseaux de 120 canons (nous en trouvons la preuve dans plusieurs lettres de Nelson) excitaient l’étonnement des capitaines anglais par leur masse imposante et l’épaisseur de leurs murailles, qui semblaient impénétrables au boulet. Les vaisseaux anglais de 74 canons étaient également beaucoup plus faibles d’échantillon que les nôtres, et, quelques-uns de ces vaisseaux existant encore de nos jours dans les deux marines, il est facile de se convaincre, par ce seul rapprochement, de la distance qui séparait autrefois notre matériel naval, le plus beau qui fût en Europe, sans en excepter celui des Espagnols, des modèles disgracieux et chétifs de la marine anglaise.

A la supériorité que donnait à nos vaisseaux un système de construction plus avancé, il fallait ajouter encore l’avantage qu’ils retiraient, dans toutes les occasions où il s’agissait de lutter de vitesse, d’une mâture mieux assujettie, qui leur permettait de défier, toutes voiles hautes, des rafales par lesquelles se trouvaient souvent démâtés les vaisseaux ennemis. C’est ainsi qu’au commencement de la guerre, on vit le contre-amiral Van-Stabel, avec six vaisseaux et deux frégates, poursuivi par l’avant-garde de lord Howe, lui échapper grace à la supériorité de marche de son escadre et à la solidité de ses mâtures.

On voit donc combien de tous points, excepté en nombre, nos vaisseaux se trouvaient supérieurs aux vaisseaux anglais au début de la guerre ; mais nous devions bientôt perdre en partie cet important avantage, et même, lorsque nous le possédions tout entier, la désorganisation de notre personnel et la dilapidation des approvisionnemens rassemblés dans nos ports ne nous permirent point de le mettre à profit. En même temps que nos armemens devenaient plus précipités et que nous nous trouvions réduits à employer de mauvais fers, des bois de

  1. Qui existe encore sous le nom de l’Océan.