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capitaine, dont s’occupaient en ce moment toutes les Antilles, cette affection qu’il lui conserva pendant tout le cours de sa carrière. Destiné à monter un jour sur le trône, sous le nom de Guillaume IV, le duc de Clarence commandait alors la frégate le Pégase, avec laquelle il vint se ranger sous les ordres de Nelson. Il sut bientôt l’apprécier à sa juste valeur, et quand, le 11 mars 1787, Nelson épousa la veuve d’un médecin distingué de l’île de Nevis, le docteur Nisbett, ce fut le prince William qui voulut conduire à l’autel la jeune et aimable créole. Plein de vénération pour le sang de ses rois, Nelson, de son côté, reconnaissait par le plus absolu dévouement l’affection qu’il avait obtenue. « Je n’ai point, disait-il, dans toute ma vie, une action qui ne soit honorable : c’est aujourd’hui surtout que je m’en félicite, puisque je me trouve admis dans l’intimité du prince. Si j’en avais le pouvoir, pas un homme ne l’approcherait qui n’eût une réputation sans tache. » - « Je n’ai qu’une ambition, écrivait-il quelques années plus tard au duc de Clarence lui-même, c’est de commander un des vaisseaux destinés à soutenir le vôtre dans la ligne de bataille. On verrait bien alors s’il est un homme au monde qui ait plus que moi votre gloire à cœur. »

L’amitié du duc de Clarence semblait avoir assuré à Nelson un puissant patronage, mais la conduite qui lui avait concilié les plus honorables affections était loin d’avoir produit une impression aussi favorable dans les conseils de la marine. Bien que cette conduite eût été hautement approuvée par le ministère, on voyait dans celui qui l’avait tenue un de ces esprits inquiets toujours prêts à se mettre en avant, esprits généralement suspects à toutes les administrations dont ils menacent l’habituelle quiétude. Aussi paraissait-on résolu à ne plus mettre à l’épreuve ce zèle et cette ardeur incommodes. Quand, en 1788, ne pouvant supporter, malgré son mariage, cette inaction qui lui était à charge, Nelson demandait avec instance à retourner à la mer, les sollicitations du prince William lui-même restèrent sans succès, et le secrétaire de l’amirauté, M. Herbert, comme en 1790 le comte de Chatham, eut la rudesse de résister à une pareille intervention. Nelson, découragé, fut alors à la veille de quitter le service et de passer sur le continent ; il était surtout blessé du peu d’égards qu’on avait témoigné à son auguste protecteur, et ne pouvait songer à l’inutile condescendance du prince sans se sentir aussi humilié que surpris des refus obstinés de l’amirauté. « Cependant, disait-il, je suis bien certain d’avoir toujours été un officier zélé et fidèle ! » Malgré les récompenses éclatantes qu’obtinrent plus tard ses services, il n’oublia jamais ce qu’il avait souffert pendant ces jours d’injuste disgrace : au faîte des honneurs, il en parlait encore avec amertume. Mais l’ambition de Nelson devait prouver sa légitimité par sa persévérance. La révolution française s’avançait menaçante, et Nelson, attentif à tous les bruits de guerre, devina des premiers le conflit