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se voit obligé de faire pour ainsi dire le métier d’officier recruleur ; mais, dès que la presse a été autorisée par un acte du parlement, c’est un métier qu’il fait à main armée. On voit alors, dans les ports de mer, des bandes de marins déjà engagés marcher, sous le nom de press-gangs, avec un officier ou un midshipman à leur tête, à des expéditions nocturnes qui n’ont d’autre but que d’aller ramasser des matelots sans emploi dans les cabarets, ou des vagabonds sans gîte dans les rues. Étrange abus dans un pays libre ! Singulière anomalie sur cette terre classique de la légalité ! Moyen brutal et odieux qui a fait pendant la dernière guerre presque autant de déserteurs que de matelots, mais qui témoigne des pouvoirs énergiques dont se trouve investi, au moment du besoin, ce gouvernement redoutable dont les institutions les plus libérales n’ont point affaibli les ressorts !

Ce fut au milieu de ces embarras et de cette agitation que Nelson fut nommé au commandement du vaisseau l’Agammemnon, de 64 canons. Les dix années de paix qui venaient de s’écouler n’avaient point été perdues tout entières pour sa carrière. Pendant trois années consécutives, il avait commandé, sur la frégate le Borée, la station des îles du vent, dans la mer des Antilles. Ce commandement, bien qu’il eût été exercé tout entier au milieu d’une paix profonde, avait cependant servi à jeter déjà les fondemens de sa réputation, et à faire éclater cette ardente initiative, ce caractère résolu et opiniâtre, qui devaient plus tard, après avoir fait sa gloire, le pousser à des actes violens destinés à la ternir et à la compromettre. A l’âge de vingt-six ans, sans protecteurs, sans fortune, Nelson n’avait point hésité, dans la chaleur de son zèle pour la prospérité du commerce anglais et de la navigation britannique, à braver des intérêts passionnés et puissans, et à assumer sur sa tête une responsabilité dont s’était effrayée la conscience plus timide de son commandant en chef. Détaché aux îles du vent par l’amiral Hughes, qui commandait alors à la Jamaïque, il trouva les ports de ces îles remplis de navires américains. Au mépris de l’acte de navigation rendu sous Charles II, et qui interdisait aux étrangers toutes relations commerciales avec les colonies anglaises, les Américains, grace à leur activité et au voisinage de leurs côtes, s’étaient, depuis la paix, presque entièrement emparés du commerce des Antilles. Nelson ne tarda point à reconnaître tout ce qu’avait de funeste pour la navigation nationale cette concurrence illicite, et, malgré les protestations des conseils coloniaux et des gouverneurs, malgré les réticences et les hésitations de l’amiral Hughes, en dépit même de ses ordres, il fit saisir et condamner par les tribunaux de l’amirauté les navires américains qu’il trouva en contravention à la Barbade, à Antigoa, à Saint-Christophe et à Nevis. Le capitaine Collingwood et son frère, qui faisaient également partie tous les feux de la station des Antilles, exerçaient en même temps, sous son