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ce ne sont point les petites choses qui ont réellement le plus d’importance.

Ces recommandations du capitaine Suckling furent les dernières qu’il put adresser à son élève, novissima verba. Il mourut peu de temps après l’arrivée de Nelson à la Jamaïque ; mais ce dernier ne resta pas sans protecteurs. Le capitaine du Lowestoffe avait conçu pour lui une vive affection, et il obtint que le vice-amiral Peter Parker, alors commandant en chef dans ces parages, prît Nelson avec lui sur le vaisseau le Bristol. Nulle circonstance ne pouvait être plus favorable à l’avancement du jeune lieutenant. L’insalubrité des Antilles occasionnait de fréquentes vacances dans l’escadre, et il appartenait au commandant en chef de pourvoir au remplacement des officiers qui succombaient. Par ces nominations, l’amiral conférait alors le grade correspondant aux fonctions devenues vacantes. Cette prérogative a été restreinte depuis cette époque ; mais en 1778 elle n’avait reçu aucune atteinte, et, sous un ciel comme celui de la Jamaïque, elle ne laissait à la disposition de l’officier-général commandant qu’un trop grand nombre de faveurs. En outre, la guerre éclata bientôt entre la France et l’Angleterre, et vint en aide au climat des Antilles pour amener dans l’escadre de nouvelles vacances. Le capitaine de la frégate le Hinchinbrook fut tué le 2 juin 1779, en contribuant à la capture d’une frégate française, et Nelson, qui commandait déjà le brick le Badger, fut appelé par la bienveillance de l’amiral à ce nouveau commandement, auquel il dut le grade de capitaine de vaisseau. Il est digne de remarque qu’il avait été successivement remplacé sur la frégate le Lowestoffe et le vaisseau le Bristol par le lieutenant Collingwood, dont le nom devait être à jamais associé au sien par la plus illustre fraternité d’armes ; ce fut encore à lui qu’il remit le commandement du Badger et plus tard celui du Hinchinbrook, comme si la fortune préparait déjà cet émule de Nelson à recueillir le glorieux héritage de Trafalgar.

Nelson n’avait que vingt-un ans quand il fut nommé capitaine de vaisseau, et son avenir militaire se trouvait désormais assuré. En effet, d’après les règlemens de la marine anglaise, l’avancement au choix s’arrêtait alors et s’arrête encore aujourd’hui au grade de capitaine de vaisseau. Jusqu’à ce grade, l’ancienneté de service constitue à peine un titre à de nouvelles fonctions ; mais, quand il s’agit de la position d’officier-général, elle reprend ses droits, et, pour gravir ce difficile échelon, il faut que chacun s’avance à son rang et suive son tour d’inscription. Les officiers qui n’ont pas rempli, au moment de se mettre en marche, certaines conditions de navigation, ne sont point dépassés pour cela par ceux de leurs frères d’armes qui ont été ou plus heureux ou plus actifs. Ils entrent avec eux dans le cadre des contre-amiraux, mais se rangent, à part sous la dénomination d’officiers-généraux retirés (retired). Une