cette victoire reste raisonnable, et nous espérons que le caractère même de la population genevoise suffira pour la préserver des excès singuliers où le radicalisme a poussé Lausanne ; mais, quoi qu’il arrive, c’est aux anciens dominateurs du pays qu’il faut en grande partie imputer le tort d’avoir rompu l’équilibre qui subsistait tant bien que mal, et précipité le dénouement dont ils sont aujourd’hui les victimes. Il serait peu généreux de choisir le moment d’une si cruelle défaite pour reprocher à l’aristocratie tombée les fautes qu’elle a commises, pour rappeler l’esprit exclusif de ce patriciat bourgeois ; il convient cependant d’expliquer ce qu’il y avait de faux et d’impossible dans la situation qu’on semblait chaque jour affecter davantage.
Le vrai rôle de Genève entre les deux factions qui sont à la veille de se disputer la Suisse par les armes, c’était une neutralité médiatrice ; le but qu’elle eût dû poursuivre sans relâche comme sans préjugé, c’était la formation d’un tiers-parti sur des bases assez équitables pour y comprendre les gens modérés de toutes les opinions. Quiconque connaît la Suisse n’ignore pas que les élémens d’une pareille coalition s’y peuvent rencontrer ; il ne leur manquait et il ne leur manque encore qu’une direction et un centre. Genève eût facilement offert l’un et l’autre ; c’eût été sa gloire de maintenir aux idées libérales leur rectitude et leur dignité, tout en résistant avec une égale vigueur aux tendances réactionnaires de l’esprit ultramontain.
Il est fort possible que telles aient été d’abord les intentions des conservateurs genevois, et cette position était si naturellement indiquée, qu’ils ont semblé quelque temps la prendre ; mais ils sont entrés peu à peu dans ces voies regrettables où plus d’un gouvernement a déjà fait fausse route : effrayés des abus possibles du libéralisme, au lieu de travailler à les redresser, ils se sont jetés de l’autre côté sous prétexte de rétablir l’équilibre ; au lieu de neutraliser les deux extrêmes en se créant une importance propre, ils se sont ostensiblement déclarés les amis des ultramontains et les ennemis des radicaux. On n’a pas réfléchi qu’il y a de ces contradictions auxquelles on succombe fatalement ; que, quels que fussent les motifs politiques de l’alliance, il serait toujours intolérable de voir les premiers-nés de Calvin tendre la main et prêter leur appui aux enfans de Loyola. On n’a point trouvé mieux en fait d’inventions conciliantes, et tout s’est réduit à ce jeu de bascule, qui n’était pas même adroit. Les radicaux de Lausanne proposent de tenir école pour la jeunesse dans les cabarets où président les membres de leur gouvernement ; il y a tel prétendu conservateur qui professe à la tribune qu’il voudrait « déraciner de sa tête tout ce qu’il y reste de son séjour dans les universités. » Des deux absurdités, quelle est la pire ? et entre les deux n’y a-t-il plus de place pour le bon sens ? Les cantons catholiques ont formé cette fameuse ligue des sept, évidemment contraire, soit à l’esprit, soit à la lettre du pacte fédéral ; d’autre part, certains cantons radicaux ne renoncent pas encore à tirer parti des corps francs, violation non moins évidente de la constitution helvétique. Le devoir des neutres était de condamner à la fois cette double infraction, et, disons-le, parce qu’on ne l’a point assez remarqué, la question a été posée très nettement dans ces termes devant le grand conseil de Genève au jour même de sa chute. Genève en diète n’avait pas voulu se prononcer sur la dissolution de la ligue des sept, demandée par Zurich, et le protocole demeurait ouvert jusqu’à ce qu’elle eût donné son avis ; c’est de la discussion de cet avis