ses épreuves, ses chefs, ses statuts, ses signes de reconnaissance, et dont les ramifications s’étendent non-seulement dans tout l’empire, mais jusque dans l’archipel malais. Le but principal que cette société semble avoir toujours poursuivi est un but politique. Elle travaille au renversement de la dynastie tartare. Les membres de la société des trois pouvoirs s’engagent à se prêter aide et protection dans toutes les circonstances critiques de la vie. Ils poussent, dit-on, l’esprit de fraternité et de camaraderie jusqu’à soustraire quelquefois des criminels au châtiment des lois. Le gouvernement chinois les a même accusés de se livrer à la piraterie ; mais un semblable reproche pourrait bien n’être qu’une calomnie inspirée par la haine ou par la crainte. Le vice-roi Ki-ing punit avec la plus grande sévérité les crimes politiques. En 1845, il fit décapiter en un seul jour plus de vingt conspirateurs, au nombre desquels se trouvaient plusieurs femmes. Aucune ville de l’empire n’est plus souvent affligée que Canton par l’effusion du sang ; aucune aussi ne renferme autant de scélérats. Les Cantonais se plaignent de l’extrême rigueur du chef de la province. A les entendre, il ne laisserait point passer de jour sans faire tomber quelques têtes sous la hache du bourreau, ce qui est fort exagéré, car les vice-rois ne peuvent condamner à mort de leur seule autorité, et sans en référer à Péking, que des individus coupables de haute trahison ou d’un crime qui a compromis la sécurité publique. La cause principale de l’impopularité de Ki-ing, c’est probablement son origine tartare, son admiration pour les idées et la civilisation de l’Europe, sa modération pour les étrangers, les vues si larges et si avancées de sa noble intelligence. Les Cantonais semblent en effet regretter beaucoup un de ses prédécesseurs, le célèbre Lin, Chinois de la vieille roche, qui dut l’affection de ses concitoyens à ce qu’avait d’étroit son patriotisme, uni d’ailleurs à un remarquable désintéressement. On sait quelle haine Lin portait aux Anglais, et quelles mesures violentes il adopta contre eux. La cause de cette popularité dont Lin jouit encore aujourd’hui à Canton nous amène à l’une des questions les plus intéressantes qui s’offre à l’Européen visitant la Chine : nous voulons parler des relations du Céleste Empire avec les pays étrangers. C’est une nouvelle face de la société chinoise qu’il nous faut examiner.
Les habitans de Canton se distinguent entre tous ceux du Céleste Empire par le mépris et la haine qu’ils témoignent aux étrangers. Dans cette population avec laquelle ils sont en relation depuis des siècles, les Européens trouvent des dispositions plus hostiles que dans celle des ports chinois où ils ne sont reçus que depuis peu. La conclusion qu’on pourrait tirer de ce fait ne nous serait guère favorable, si l’on ne se rappelait que le caractère des Chinois du sud est beaucoup moins doux, beaucoup moins bienveillant que celui des Chinois du nord.
Le nom de fan-kouaï, que les Cantonais ont donné à l’étranger, est déjà une injure. Quelques personnes sont, il est vrai, tentées de croire qu’ils n’y attachent plus aujourd’hui aucun sens blessant. Chaque jour encore, cependant, les faits viennent confirmer les paroles, et, pour peu qu’un étranger séjournant à Canton se donne la peine d’observer, il ne tardera pas à acquérir la conviction du cordial et profond mépris que les habitans de cette ville vouent à quiconque n’a pas