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toutes les grandes et opulentes cités, il existe à Canton un nombre considérable d’aventuriers et de filous. On y fait le mouchoir et la montre avec autant d’adresse qu’à Paris. Il n’est, je le crois, personne d’entre nous qui n’ait eu quelque foulard escamoté sur la petite place située entre le jardin américain et la factorerie française. Vous êtes souvent suivi par un individu qui finit, si vous n’y prenez garde, par vous mettre très lestement la main dans la poche.

Le mouvement, l’animation dont nous avons cherché à donner une idée, explique la prédilection des Chinois pour Canton, qu’ils appellent un séjour de délices. Il est, dit-on, peu de cités dans l’empire qui leur offrent des moyens aussi variés de satisfaire leurs passions. Les maisons de jeu y sont très nombreuses, les représentations théâtrales extrêmement fréquentes ; la rivière, la ville flottante, offrent des fêtes et des plaisirs inconnus ailleurs. Le commerce étranger, si considérable à Canton, procure à cette ville une grande quantité d’objets de luxe fort rares dans le reste de la Chine, et ouvre à ses marchands mille sources de richesses. Aussi y compte-t-on des fortunes immenses acquises dans les affaires. Je citerai en première ligne celle d’Hou-koua, le plus riche propriétaire de Canton, celles de Poun-ting-koua, de Poun-kaï-koua et de Ping-ti-ouang.

Mais c’est assez nous occuper de l’aspect des rues ; l’intérieur des maisons nous réserve de nouvelles surprises. La ville chinoise a ses beaux quartiers, où les maisons sont construites en briques ; elle a aussi ses quartiers misérables, où de chétives huttes de limon et de bambou servent d’abris aux pauvres. Ne nous arrêtons pas devant ces cabanes, ne soulevons pas la natte qui sert de porte : cette natte cache un réduit étroit, humide, infect, qui sert en même temps à une famille nombreuse de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher. C’est dans les grandes maisons de l’intérieur de la ville qu’il faut étudier l’architecture domestique des Chinois. Ces maisons arrêtent tout d’abord l’attention par la forme du toit recouvert de tuiles cintrées, qui dessine un arc très gracieux. Cette forme dérive, dit-on, de celle de la tente, antique habitation des tribus nomades qui, de l’ouest de l’Asie, vinrent jadis s’établir en Chine. Le caractère dominant de l’architecture chinoise est une extrême légèreté. Les constructions sont élégantes, coquettes, souvent ornées de sculptures du travail le plus délicat, mais elles manquent entièrement de solidité. Aussi la Chine est-elle fort pauvre en monumens antiques. La plupart des maisons de Canton ne sont qu’à un étage. Les fenêtres sont à coulisses et non à pivots ; elles se touchent comme celles de nos édifices du moyen-âge. Les vitres sont remplacées par un treillis de bois, le plus souvent à carreaux, mais quelquefois aussi découpé en arabesques du dessin le plus capricieux et le plus élégant. Des coquilles taillées et transparentes servent à fermer les interstices ; on les remplace par du papier dans les habitations où on ne se pique pas d’une extrême élégance.

Les habitations des riches sont entourées de hautes murailles qui en dérobent la vue aux passans. Quand on a franchi le seuil de la porte, ordinairement à deux battans, on se trouve vis-à-vis d’une cloison destinée à masquer l’intérieur du logis, car un des traits caractéristiques des habitans du royaume des fleurs, c’est d’aimer à jouir du bonheur sans témoins. Aucune précaution ne leur coûte quand il s’agit de cacher leurs trésors de tout genre aux regards curieux de leurs concitoyens, et surtout des mandarins, dont la jalousie est redoutable. Une loge de portier est assez souvent placée près de l’entrée. Deux passages qui s’ouvrent