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l’homme-horloge de Favignana est loin de valoir un chronomètre de Bréguet.

Le chiffre de la population favignanaise est presque doublé par celui de la garnison de trois forts, par celui des employés de la douane et de la santé, et surtout par celui des condamnés qui habitent les fossés du fort San-Giovanni. Très profonds et creusés entièrement dans le roc, aussi bien que les logemens mêmes des prisonniers, ces fossés sont un véritable bagne, d’où toute évasion est presque impossible. La plupart des malheureux qu’ils renferment expient ou des meurtres ou des vols à main armée. Leur nombre, pendant notre séjour, était d’environ deux mille.

La culture de Favignana est peu variée, et les produits sont loin de suffire à l’entretien de ses habitans. Les terres voisines du bourg, qui en forment la partie la plus fertile, sont généralement occupées par des jardins où croissent de magnifiques orangers, des citronniers, des grenadiers, et où l’on récolte d’excellens légumes. Dans la portion orientale de l’île, on rencontre quelques champs de blé ; le reste est abandonné aux vignes et à quelques plantations de cactus, qui marquent, pour ainsi dire, les limites de la végétation. En troupeaux, l’île ne possède que quelques bêtes à cornes. Aussi, pour nourrir sa population indigène ou d’origine étrangère, Favignana fait-elle venir du dehors la viande, l’huile et les céréales, qu’elle paie avec son vin. Entièrement dépourvue d’industrie, elle emprunte à plus forte raison à l’étranger bien des objets de luxe ou de première nécessité. A en juger par les échantillons qui nous ont passé sous les yeux, la France et l’Angleterre se partagent l’approvisionnement de ce petit coin du globe, et toutes deux y sont en quelque sorte caractérisées par leurs produits. Tout ce qui a rapport aux besoins matériels de la vie est clé fabrique anglaise : les couteaux, fourchettes et vaisselles de table portent presque toujours le mot London. Tout ce qui touche à l’élégance, tout ce qui réveille une idée, y vient de France et de Paris. Nous avons retrouvé sur les cheminées nos vases de porcelaine, sur les murs nos papiers peints, et partout nos gravures de la rue Saint-Jacques, partout Napoléon, ses maréchaux et ses batailles.

Les habitans de Favignana ne possèdent point les terres qu’ils cultivent ; ils n’en sont en quelque sorte que les fermiers. L’archipel entier appartient en propriété à une noble famille génoise, aux Palavicini, qui visitent rarement ce fief maritime, et le gouvernent par l’intermédiaire d’un intendant. J’ignore ce que peuvent être les rentes reposant sur l’exploitation du sol ; mais elles ne sauraient être bien considérables, et probablement la majeure partie du revenu est fournie par la mer. Les seigneurs de Favignana ont seuls droit de pêche dans