Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnes que voyait autrefois M. le baron ne nous eussent fait accueil, et si nous ne trouvions chez elles bonne compagnie.

— Que vous êtes heureuses de sortir quand cela vous plaît, d’aller aux assemblées et de faire des visites ! dit Félise en soupirant ; moi, je n’ai d’autre récréation que d’aller à la messe, et encore le dimanche seulement.

— Soyez tranquille, ma reine, nous aviserons, et, malgré votre tante, nous vous produirons dans le monde, nous vous amuserons, nous vous marierons.

— Quel bonheur ! s’écria Félise. — Puis, entendant l’heure qui sonnait à toutes les pendules de l’hôtel, elle ajouta : — Minuit ! déjà minuit ! Ah ! si ma tante Philippine, qui ne dort jamais, mettait le nez à la fenêtre maintenant ! si elle me voyait rentrer... Mais elle ne m’entendrait pas ; je vais redescendre tout doucement, sans faire plus de bruit que son chat Mitoufle, lorsqu’il rôde autour d’elle sur le tapis.

À ces mots, elle embrassa les deux sœurs en leur recommandant de laisser l’échelle contre le mur pour qu’elle pût revenir bientôt. Quelques instans plus tard, elle rentrait sans lumière dans sa chambre et se blottissait, le cœur encore palpitant, dans son grand lit à quenouilles.

Ces entrevues se renouvelèrent plusieurs fois avec le même bonheur. Les amitiés enfantines se renouèrent plus vives ; la douce Angèle, surtout, s’était reprise à aimer de tout son cœur sa compagne de couvent. C’était une de ces âmes affectueuses, de ces natures bienveillantes, qui comptent dans leur propre bonheur le bonheur d’autrui, et elle se préoccupait beaucoup de celui de Félise. La jeune veuve aussi aimait cette enfant ; elle lui trouvait une naïveté, un tour d’esprit romanesque, une vivacité d’imagination qui la charmaient. Leurs longs entretiens roulaient toujours sur le monde, que Félise n’avait pas même entrevu, et dont elle se faisait une si agréable idée. Bientôt il lui sembla qu’elle connaissait les personnages dont on lui parlait si souvent, et elle demandait d’elle-même des nouvelles de Mlle la comtesse douairière de Manicamp, de M. le marquis de Gandale, etc., etc. La douairière était une grande dame, bel esprit et dévote, qui réunissait chez elle la meilleure société du Marais, et le marquis de Gandale, son neveu, passait pour un des plus aimables gentilshommes et des plus beaux partis de la jeune noblesse. Mme de Favras le citait comme un parfait modèle d’esprit, de bravoure et de galanterie chevaleresque.

— Nous lui avons parlé de vous, mon ange, disait-elle à Félise ; vous ne sauriez croire combien le tableau de votre captivité l’a intéressé. Il affirme que vous lui semblez une petite princesse enchantée comme dans les contes de Mme d’Aulnoy, et il appelle votre tante la fée Dentue. Mme de Manicamp aussi me demande de vos nouvelles sans cesse ; elle est dans la dernière impatience de vous voir, et il faut absolument que je lui donne quelque jour cette satisfaction. J’en ai pris l’engagement.