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un moment, elle eut atteint la couverture à jour du petit édifice, et, debout sur le treillis, elle appuya les deux mains sur la crête du mur en regardant en bas. Angèle et Cécile étaient assises sur des sièges de jardin, autour d’une table rustique où on leur avait servi la collation. Des bougies placées dans une verrine éclairaient ces gracieuses figures, derrière lesquelles la perspective du jardin formait un fond ténébreux. En apercevant cette figure droite sur le mur, à quelques pas d’elles seulement, les deux sœurs jetèrent un cri et se levèrent effrayées ; mais, Félise les ayant appelées par leur nom, elles la reconnurent aussitôt et s’approchèrent d’elle avec une joyeuse surprise. — C’est elle ! c’est Félise ! s’écria l’aînée en riant ; oh ! le joli voleur !...

— Je voudrais bien vous aller trouver, lui cria-t-elle tout bas ; mais comment faire ?

— Vite ! qu’on apporte une échelle de jardinier, dit Angèle en agitant la sonnette d’argent placée sur la table ; voilà ce qui s’appelle tomber des nues ! Oh ! ma chère Félise, venez vite, que je vous embrasse !

Un laquais arriva tout ébahi, plaça sa double échelle contre le mur et se retira discrètement à l’écart. Félise descendit légèrement cette espèce d’escalier, et fit une exclamation de joie en touchant le sol.

— Eh ! ma pauvre enfant, d’où venez-vous ainsi ? s’écria Cécile en l’embrassant ; qui se serait attendu à vous recevoir ici ce soir, et surtout à vous y voir entrer par ce singulier chemin ?

— Comme vous voilà grande et belle ! ajouta Angèle en la serrant dans ses bras avec effusion.

— Vous aussi vous êtes bien jolie, répondit Félise en la retenant par les deux mains et en la considérant d’un air joyeux.

— Voyons ! reprit Cécile en la faisant asseoir entre elle et sa sœur, voyons, ma chère reine, dites-nous un peu pourquoi vous n’êtes plus au couvent, et comment il se fait que vous rendiez vos visites la nuit, en passant par-dessus les murailles ?

— Vous allez le savoir, répondit Félise avec un soupir ; j’ai eu bien des chagrins, mais l’histoire n’en sera pas longue.

Elle raconta alors comment elle était sortie du couvent après la mort de la sœur Geneviève, l’accueil qu’elle avait reçu chez sa tante, et la vie qu’elle menait dans cette maison, mille fois plus triste, plus solitaire, plus silencieuse et plus inaccessible qu’un couvent. Les deux sœurs l’écoutaient avec un vif intérêt et un étonnement singulier ; à chaque détail, elles serraient les mains de Félise, elles l’embrassaient en lui disant avec une tendre commisération : — Pauvre enfant ! quelle vie ! Mais cela peut changer ; cela changera, Dieu merci ! Vous ne resterez pas toujours sous la loi de cette cruelle tante. Vous quitterez votre prison. Ayez bon courage. Vous le voyez, on se tire de partout, même du couvent.

— Sans doute, puisque nous voilà ici toutes trois ! s’écria Félise en