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compagnie. Chaque matin la mère Madeleine passait une heure auprès d’elle, chaque soir elle revenait encore ; mais sa patience, son inépuisable charité, son habileté à gagner les âmes, échouaient contre cette douleur emportée et mêlée de résolutions extrêmes. Félise était inaccessible à toutes les consolations. Parfois morne, abattue, silencieuse, elle passait plusieurs heures assise dans le coin le plus obscur de la cellule, la tête penchée sur sa poitrine, dans l’attitude d’une sombre rêverie. D’autres fois elle avait des paroxismes de désespoir dont la violence épuisait ses forces morales, et auxquels succédait une sorte d’anéantissement.

Un jour, la supérieure lui amena une de ses compagnes, et, se retirant presque aussitôt, elle les laissa ensemble.

Alors la jeune pensionnaire s’assit à côté de Félise, qui ne lui avait rien dit encore, et, l’embrassant les larmes aux yeux, elle s’écria : — Oh ! ma bonne amie, dans quelle affliction nous sommes toutes ! Notre révérende mère a demandé que l’on fît des prières pour toi, et tous les jours, après la messe, toute la communauté fait une neuvaine à ton intention. Il est certain que tu en éprouveras de grandes consolations, et que, dès qu’elle sera finie, tu reviendras parmi nous...

Félise garda le silence, et fit seulement avec la tête un geste négatif.

— Nous nous jetterons aux pieds de notre mère, reprit la jeune pensionnaire, nous intercéderons pour toi. Quand tu seras pardonnée, nous viendrons te chercher, et, comme dit la mère Perpétue, nous te ramènerons en triomphe au bercail.

Ces marques naïves d’intérêt et d’amitié ne produisirent pas plus d’effet sur Félise que les admonestations de la mère Madeleine ; elle retira sa main des mains de sa jeune amie, et lui répondit d’un ton bref : — Non, il faut me laisser seule ici ; je m’y trouve mieux que parmi vous.

— Seigneur ! mon Dieu ! tu ne nous aimes donc plus ?

— Je ne sais pas... Je n’ai plus qu’une pensée, à présent, je ne sens plus qu’une seule chose : c’est que ma tante Geneviève est morte,... que je ne la reverrai jamais, jamais.... Je voudrais mourir aussi.... Je l’aimais tant !...

Elle fondit en larmes à ces mots, et, se couvrant le visage avec le pan de son tablier, comme pour ne plus apercevoir la clarté du jour, elle fit signe à la jeune pensionnaire de s’éloigner. Celle-ci s’en allait toute contristée faire part à ses compagnes des sentimens où elle avait trouvé Félise ; mais la supérieure, qu’elle rencontra sur son chemin, ayant écouté le récit de ce qui venait de se passer, lui dit gravement : — C’est bien, ma chère fille ; vous avez parlé comme vous le deviez à cette pauvre enfant. A présent, la charité vous ordonne de taire les réponses que le malin esprit lui a inspirées. Lorsqu’on vous interrogera à ce