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mais elle ne pouvait plus l’entendre, et, avant qu’on eût entièrement achevé les cérémonies dont l’église environne les mourans, elle expira. Elle expira sans souffrance, en balbutiant quelques paroles inintelligibles et en soupirant faiblement comme un enfant qui s’endort.

On avait éloigné Félise dès les premiers momens, et elle avait passé la nuit dans une cellule éloignée. Elle avait dormi sans inquiétude, car, dans l’inexpérience et l’insouciante légèreté de son âge, elle ne songeait pas à la mort : comme la sœur Geneviève était si jeune encore, l’idée qu’elle pouvait mourir bientôt ne s’était jamais présentée à son esprit, et la veille elle n’avait pas été effrayée en la voyant si faible et si malade. Le matin, lorsque la cloche sonna le premier Angélus, elle se leva, s’étonnant du silence qui régnait dans le dortoir, et, sans concevoir encore aucune inquiétude, elle sortit doucement pour aller trouver les autres pensionnaires. En ce moment, la supérieure venait elle-même lui annoncer le funeste événement. — Ma chère fille, lui dit-elle en la ramenant dans sa cellule, mettez-vous à genoux et offrez au Seigneur votre cœur et votre ame afin qu’il les console : vous êtes éprouvée bien jeune par une grande affliction.

Félise obéit en arrêtant sur la mère Madeleine ses grands yeux clairs, où se peignait l’étonnement plutôt que l’inquiétude. Tandis qu’elle interrogeait ainsi la supérieure du regard, n’osant lui adresser une question directe, les sons de la cloche qui commençait à sonner le glas funèbre retentirent jusqu’au fond du dortoir. Félise jeta un grand cri et devint tremblante : elle avait tout à coup pressenti le fatal événement, et son visage exprimait tout à la fois l’anxiété, le doute et un affreux désespoir. — Priez, mon enfant, reprit la supérieure navrée de douleur, priez et soumettez-vous ; Dieu nous a ôté la sœur Geneviève. Elle est allée au ciel, avec les anges...

— Elle est morte ! non, non... je ne le crois pas !., s’écria Félise en se précipitant vers la porte. La mère Madeleine ne put la retenir, et les religieuses qui se trouvèrent sur son passage essayèrent inutilement de l’arrêter ; elle courut éperdue à la cellule de la sœur Geneviève, et demeura comme foudroyée sur le seuil. La pauvre trépassée était sur son lit, vêtue de ses habits religieux et le crucifix entre les mains. Sa figure était si blanche et si calme, qu’on eût dit la statue d’albâtre d’une des saintes de l’ordre, habillée de la tunique de laine blanche, du long scapulaire et du manteau bleu céleste.

Félise considéra d’un œil fixe et presque stupide ce triste tableau, ensuite elle alla se mettre à genoux dans un coin de la cellule, et y resta immobile, le corps ployé, le visage caché contre le mur. Les exhortations du père Boinet, les consolations qu’essayait de lui donner la supérieure, furent sans effet ; on ne put ni la faire changer de place, ni lui arracher une parole. Sa douleur ne se manifestait que par de rares