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entièrement réprimer : — Passez au parloir, ma chère enfant ; vous savez ce que vous avez à demander à M. votre tuteur ; écoutez avec respect ce qu’il lui plaira de vous répondre, et venez me trouver ensuite. Moins d’un quart d’heure après, Cécile rentra dans le petit parloir pâle, défaite, mais les mains levées au ciel et le front radieux.

— Ma chère mère, dit-elle, M. le baron me refuse son consentement ; il ne veut pas que je prenne l’habit.

— Il faut vous soumettre, ma chère fille, répondit la supérieure d’un ton calme ; adorez les volontés de Dieu, et préparez-vous à obéir aux ordres de M. votre tuteur.

— Oh ! j’y suis prête ! s’écria Mlle de Chameroy avec transport ; puis elle ajouta avec une expression mêlée de tristesse et de joie : — Ma chère mère, qui l’eût pensé ? M. le baron veut aussi nous faire sortir du couvent.

— Je ne m’y opposerai pas, répondit la mère Madeleine, toujours maîtresse d’elle-même, quoique son cœur fût pénétré d’une sensible affliction ; votre père en mourant a légué tous ses droits à M. le baron de Favras ; il a sur vous toute autorité, et je suis prête à vous remettre entre ses mains.

— Je vais quitter le couvent ! murmura Cécile en joignant les mains avec un geste d’étonnement, presque de doute. Est-ce possible. Seigneur, mon Dieu ! je vais passer la porte de clôture ?...

— Oui, ma fille, dit la supérieure en la considérant d’un œil triste et attendri, vous allez nous quitter pour toujours...

À ce mot prononcé avec un accent qui ne renfermait cependant aucun reproche, Mlle de Chameroy sentit son ingratitude et les torts involontaires de son cœur. Elle se jeta à genoux devant la supérieure, et, baignant de pleurs ses mains vénérables, elle lui dit d’une voix entrecoupée : — Oh ! ma chère mère, pardonnez-moi... J’ai bien mal répondu aux bontés dont vous m’avez comblée... Je n’étais pas digne du nom de votre fille que vous m’avez donné si long-temps...

La bonne supérieure ne put retenir ses larmes ; elle serra dans ses bras l’enfant qui était près de l’abandonner, et lui dit avec un accent plein de douleur, de tendresse et de pieuse fermeté : — Ma fille, ma chère fille, dans la vie nouvelle où vous allez rentrer, souvenez-vous des exemples que vous avez eus ici. Vous n’étiez pas appelée à devenir une sainte ; renoncez à la vie religieuse, mais soyez toujours une fille chrétienne, une femme d’honneur.

Le même jour, Mlle de Chameroy et sa jeune sœur franchirent, en effet, cette terrible porte de clôture qui se rouvrait si rarement pour rendre au monde les filles élevées à l’Annonciation ; mais ce grand événement ne fut connu que le soir. La supérieure l’annonça aux religieuses réunies dans l’ouvroir pour terminer les préparatifs de la