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toujours froid, les meubles délabrés, et le grand lit sans rideaux, et le buffet orné de quelques pièces d’argenterie qui disparurent l’une après l’autre. C’est dans cette maison qu’Angèle vint au monde, et le même jour ma pauvre mère mourut.

La voix de Cécile s’altéra en prononçant ces derniers mots. Ses yeux doux et rians se remplirent de larmes. — Et après, mon enfant, dit la sœur Geneviève d’un air touché, après ce malheur, qu’arriva-t-il ?

— Hélas ! après ce malheur, il en vint un autre, répondit la jeune fille ; mon père tomba malade, et bientôt l’on reconnut qu’il n’en reviendrait pas. Aux derniers jours de sa vie, la Providence vint pourtant à son secours. Un de ses parens éloignés, ayant appris sa triste situation, courut à Versailles et sollicita pour lui. Il avait quelque crédit, il obtint tout ce qu’il demanda ; mais les bienfaits du roi venaient trop tard. Avant de mourir, mon père nous recommanda à ce vieux parent et le pria d’être notre tuteur, notre bienfaiteur ; puis il me tint un discours que je ne compris guère, et que j’écoutais en pleurant. Dès qu’il eut rendu son âme à Dieu, notre parent, le baron de Favras, m’amena ici. Notre chère mère, touchée de notre malheur, consentit à recevoir aussi Angèle, qui était une toute petite enfant encore au berceau.

— Et ce parent, ce tuteur, vous a-t-il depuis témoigné quelque intérêt ? demanda la sœur Geneviève. Vient-il vous voir quelquefois ?

— Jamais, répondit Cécile ; jamais, quoiqu’il demeure très près d’ici, car, je m’en souviens, il ne fit que traverser la rue pour nous y amener. Il nous connaît à peine ; il ne peut pas nous aimer. Angèle et moi, nous n’avons véritablement d’autre père et d’autre protecteur que le bon Dieu.

— Pauvres enfans ! murmura la sœur Geneviève, convaincue de la nécessité de leur vocation.


IV.

C’était une dévote italienne, une grande dame de Gênes, Victoria Fornari, qui avait fondé l’ordre des Annonciades Célestes, et un jésuite, le père Zannoni, en avait écrit sous sa dictée les constitutions. L’esprit de cet institut était d’offrir une retraite aux filles qui, ne se sentant pas attirées vers le monde, voulaient vivre à jamais inconnues et cachées, imitant ainsi la solitude de Marie, que l’ange trouva seule dans sa chambre. Leur vie devait être impénétrable au dehors, douce et facile au dedans. La maison de Paris pratiquait ces observances dans leur exactitude primitive. Dirigée par les pères jésuites de la rue Saint-Antoine, elle avait conservé intactes les traditions de l’ordre : il n’y avait peut-être point de monastère en France où la discipline fût aussi parfaite, et en même temps les devoirs de l’état religieux aussi faciles.