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été comme vous en âge de me connaître moi-même quand j’ai perdu mes parens, je ne serais pas entrée aux Annonciades.

— Mais vous êtes libre encore d’en sortir, mon enfant, s’écria la religieuse.

— Où irais-je à présent ? répondit Mlle de Chameroy.

— Hélas ! chère enfant, reprit la religieuse, c’est une faute de se laisser aller à de telles réflexions. Soumettons-nous au sort que la Providence nous a fait, et tâchons d’aimer les devoirs qui nous sont imposés. D’ailleurs, que nous manque-t-il ici pour le bien-être de l’ame et du corps ? Y a-t-il au monde un séjour plus agréable et plus tranquille ?

Elle se releva à ces mots et fit le tour de la cellule après avoir entr’ouvert la fenêtre et jeté un coup d’œil sur le jardin. — Voyez, reprit-elle en passant la main sur le pied de son lit blanc et douillet, ce n’est pas ici comme chez les Capucines, où l’on dort sur une planche, à côté d’une tête de mort ; cette chambrette est propre et jolie ; l’on a la vue des beaux ombrages du jardin et l’on y respire un air si pur, si rempli de l’odeur du feuillage, qu’on pourrait se croire à la campagne.

— C’est vrai, ma sœur, répondit la jeune pensionnaire, ici tout a un aspect riant : l’hiver, les salles sont bien chauffées et bien closes ; l’été, l’on a de longues récréations et l’on se promène au frais dans le jardin ; pourtant au milieu de ce bien-être je songe toujours avec regret à un autre séjour.

— Le séjour qu’habitaient vos parens ?

— C’était une vieille maison fort délabrée, répondit ingénument Cécile ; elle donnait sur une ruelle obscure, et l’on n’y voyait pas clair en plein midi. Mon père y était descendu en arrivant à Paris, où il venait solliciter ; mon père, un bon gentilhomme, un brave officier ruiné au service du roi. Ma mère l’avait accompagné ; il comptait retourner dans sa province avec une pension. Au bout de quatre ans, il n’avait encore rien obtenu, et en attendant quel dénûment, quelle misère ! Mon pauvre père, je le vois encore écrivant ses suppliques devant la fenêtre, dans une grande chambre sans feu, et les lisant ensuite tout haut à ma mère, qui restait au lit avec moi presque tout le jour, faute d’une bûche à mettre dans la cheminée. Nous ne sortions guère que le dimanche pour aller à la messe ; mais alors quelle joie ! j’en rêvais toute la semaine. Nous traversions un endroit appelé la Place Royale ; parfois il faisait soleil, et c’était pour moi un bonheur inexprimable de courir au grand air le long des allées. Souvent ma mère avait la condescendance de s’asseoir sur un banc et de me laisser jouer pendant une demi-heure ; ensuite nous rentrions pour toute la semaine dans notre logis. Je ne saurais le retrouver maintenant, j’ai oublié jusqu’au nom de la rue ; mais j’ai encore devant les yeux la maison, l’escalier humide et noir, la chambre propre, toujours rangée, et où il faisait