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extase, elle se prit à demander le nom de toutes ces belles figures de carton, qui lui semblaient des personnes naturelles. Cécile lui expliquait tout cela avec une complaisance infinie. Quand elle arriva au personnage vêtu de noir, elle dit gravement : — Celui-ci existe en chair et en os ; c’est le révérend père Boinet, confesseur de la communauté. L’an dernier, il y avait à sa place le révérend père Pacaud, notre aumônier, un saint homme aussi ! C’est bien glorieux d’avoir comme cela son portrait dans la même niche que le saint enfant Jésus ! Il est très ressemblant le portrait du père Boinet !

— Il est bien laid ! dit naïvement Félise.

Pendant ce dialogue, la sœur Geneviève, debout à la porte du pavillon, suivait du regard la petite Angèle, qui, au lieu de contempler la crèche qu’elle avait déjà visitée vingt fois, s’amusait à courir le long de l’allée en soulevant avec ses pieds les feuilles sèches amassées sur les bords. En dispersant cette couche qui préservait le sol de la gelée, Angèle découvrit une petite touffe verdoyante, et aussitôt un parfum subtil, ravissant, embauma l’air.

— Ah ! fit-elle avec un cri de joie, une violette !

Elle la cueillit délicatement, et l’apporta triomphante à la sœur Geneviève. La novice attacha cette fleurette à sa guimpe, et resta immobile, la tête appuyée sur sa main, les yeux fermés, comme si ce parfum l’eût enivrée. En effet, l’arôme qui flottait dans l’air avait en quelque sorte inondé son âme ; ses souvenirs l’avaient tout à coup transportée dans d’autres lieux ; elle était retournée la durée d’un éclair vers les campagnes natales, sous les platanes au pied desquels la fleur printanière formait des tapis bleuâtres où elle s’était si souvent assise. Lorsque Cécile sortit du pavillon, emmenant à grand’peine Félise, qui serait volontiers restée en contemplation jusqu’au soir devant la crèche, elle trouva la novice absorbée encore dans sa rêverie.

— Ma sœur, ma chère sœur, s’écria-t-elle avec étonnement, vous pleurez, vous avez de la peine ?

— Non, répondit la sœur Geneviève en mettant une main sur son cœur ; non, mon enfant, c’est au contraire une impression très douce que j’ai ressentie, c’est une sorte de joie que je ne saurais définir et qui m’a fait verser des larmes.

— Oh ! ma chère sœur, vous avez songé à des choses qui sont hors d’ici, dit la jeune fille en serrant la main de la novice d’un air de sympathie intelligente.

Le son de la cloche qui retentissait dans tout le monastère annonça la fin de la récréation : c’était l’heure du travail à l’aiguille. En entrant à l’ouvroir, la supérieure dit à ses religieuses : — Mes très chères sœurs, il s’agit de vêtir la brebiette que le Seigneur nous a envoyée aujourd’hui ; nous allons travailler pour elle jusqu’à l’heure de l’office.